« Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur ». Voilà une petite phrase apparemment anodine mais qui est incisive. Où mettons-nous l’essentiel ? Qu’est-ce qui mobilise notre cœur ? Où est l’essentiel ? Le Royaume, pour reprendre une expression de Jésus ?

Les trois paraboles de la vigilance proposées par l’évangile d’aujourd’hui ont toute leur valeur pour porter ces questions. D’abord, je me suis demandé pourquoi ce passage d’évangile est tout tissé par des paraboles et des comparaisons. Au lieu d’un langage en clair, noir sur blanc, c’est tout un langage d’images et de métaphores. Ne serait-ce pas pour attirer notre attention sur ceci : nous attendons parfois que Dieu se révèle, qu’il entre brusquement sur la scène mais peut-être que dans nos vies, dans notre monde, rien n’est jamais clair, passent des images et des messages qu’il s’agirait de décoder et d’interpréter. Il s’agirait de saisir que quelque chose se passe à travers l’énigme de la vie ordinaire : à table, dans la nuit, dans le service au jour le jour. Ne serait-ce pas aussi pour suggérer qu’en chacun il y a de l’inconscient, de l’autre qui ne peut pas simplement tomber sous l’emprise du rationnel. ? Et cela doit-il nous étonner lorsqu’il est précisément question de l’essentiel dans la vie, du trésor, du cœur humain ?

Notre vie n’a pas de carte routière avec le chemin tracé à suivre mais un langage chiffré : une rencontre, une intuition persistante, un événement qui survient…ce sont des messages dont il faut sans doute faire quelque chose. Et une double insistance revient dans les paraboles évangéliques d’aujourd’hui : il s’agit d’être en état d’éveil ou de réveil pour saisir ce qui se passe et d’autre part saisir l’occasion car de l’inattendu, de la surprise peuvent venir. Qu’en ferons-nous ?

Est-ce pour autant se tenir constamment sur le qui-vive ? Et faut-il faire de Dieu un voleur qui s’introduit chez nous à l’heure où nous n’y pensons pas ? Dieu comme celui qui joue à nous surprendre, voire à nous prendre sur le fait ? En quoi serait-ce là une bonne nouvelle ?

Ce qui est suggéré par l’évangile d’aujourd’hui pourrait être ceci : que le savoir soit indispensable qui le nierait ; il en faut pour assumer les responsabilités professionnelles, familiales et un principe de précaution doit être à l’œuvre dans la société mais, par ailleurs, à tout vouloir contrôler et maîtriser, tout savoir donc, dans la crainte de ce qui va encore nous tomber dessus, est-ce la bonne voie ? Il s’agirait plutôt d’accueillir les événements de la vie comme un espace où Dieu peut surgir, peut venir. Non pas comme un personnage qui va entrer en scène, mais comme de l’Autre, qui fait signe, qui fait trace. Ce serait un lâcher-prise qui se porte en direction de l’avenir, qui regarde vers ce qui peut servir la vie, l’avenir de la vie. Un consentement à ne pas savoir, tout savoir, tout contrôler. Une vigilance qui ausculte le moment présent pour qu’il soit porteur de vie et d’avenir.

Tout compte fait, l’accueil de l’événement de Dieu est mis dans l’évangile en contraste avec une attitude qui estime que les choses tardent, que Dieu ne vient quand même pas, qu’il tarde à venir. Une attitude qui est décrite de manière très concrète : on se met à battre les autres – compétition, rivalité, arrogance, violence – on mange et boit sans discernement. On glisse là dans l’idolâtrie. L’idolâtrie du moment présent qui devient la mesure de toutes choses. Une bonne nouvelle résulte-t-elle de notre évangile ? Oui, des hommes et des femmes à la suite de Jésus, inspirés par son Esprit, veulent encore se tenir éveillés avec leur lampe qui brûle pour ouvrir au ressuscité, ouvrir à ce qui ressuscite la vie et la relance en avant. Ce n’est pas un hasard si le langage parle «des « reins ceints ». N’est-ce pas ainsi qu’il fallait fuir l’esclavage de l’Egypte ? Et puis il y a les noces, là où la vie est célébrée et relancée comme un pont jeté par-dessus la fureur du monde.

Fr. Hubert Thomas