Aujourd’hui, nous sommes rassemblés pour célébrer avec joie la solennité de la Pentecôte, fête qui est au cœur du mystère pascal.  Mais quelle est l’origine de cette fête ?  Pour Israël, les festivités du cycle agraire n’avaient pas pour but de remercier les forces de la nature, les « Baals », pour la fertilité de la terre, des hommes ou des animaux, ni pour leur offrir des sacrifices destinés à attirer leur bienveillance.  Pour Israël, donc, ces festivités étaient bien sûr l’occasion de se réjouir en actualisant la mémoire de son histoire d’Alliance avec le Dieu unique et créateur, le vrai et seul roi.

Les trois grandes fêtes de pèlerinage rassemblaient le peuple à Jérusalem.  A Pâques, pour faire mémoire de la sortie d’Egypte et de la libération de l’esclavage.  Cinquante jours après, la fête des semaines, qui deviendra pour nous la Pentecôte (du grec « cinquante »), pour célébrer le don de la Torah.  C’est le moment de la moisson du blé.  Enfin, la fête des Tentes (qu’on appelle parfois le fête des Tabernacles ou des cabanes) pour revivre l’Exode vers la Terre Promise ;  c’est le moment de la vendange.

Pour nous, chrétiens, la Pentecôte est l’actualisation du don de l’Esprit promis par Jésus.  C’est un don d’amour, car l’histoire du salut est l’histoire de l’amour de Dieu pour nous, car, par amour, il s’est fait chair de notre chair, de même que c’est par amour qu’il a créé le monde.  Par amour, Jésus accepte de mourir sur une croix.  Ressuscité le troisième jour, il monte tout près du Père, d’où, par amour il nous envoie l’Esprit.

La Pentecôte est le jour de naissance de l’Eglise qui, dès sa fondation, est invitée à sortir du Cénacle pour annoncer la Bonne Nouvelle jusqu’aux extrémités du monde.  La Pentecôte est la fête de l’union, de la communion de la famille humaine, car nous sommes tous fils d’un même et unique Père.

Saint Luc, dans le texte des Actes que nous venons d’entendre, précise que les apôtres étaient réunis tous ensemble dans la chambre haute.  Ils restaient entre eux, dans un mélange de crainte, de peine et de joie.  Soudain, un bruit et des forces de la nature déchaînées :  cela fait écho pour nous à ce qui s’est passé sur le mont Sinaï au moment du don de la Torah.  Nous sommes, à notre tour, bénéficiaires de la grande théophanie qui crée l’Alliance.  Comme dans tout événement théophanique, ainsi le Cénacle est rempli de la Présence de Dieu.  Dans un langage très imagé, le récit fait mention du feu et du vent :  des langues comme de feu descendent sur chacun de ceux qui étaient là.  Du feu, comme le buisson ardent qui brûle mais qui ne se consume pas, et comme les charbons brûlant qui touchent les lèvres du prophète Isaïe, pour les purifier et pour l’envoyer en mission, et aussi comme les cœurs si brûlant des disciples d’Emmaüs, et comme la colonne de feu qui illuminait la marche des hébreux au désert.  Le feu va éclairer la nuit des apôtres enfermés dans la chambre haute.

Et il y a le vent, comme le vent qui apporte les nuages chargés de la pluie nécessaire  pour arroser la terre, et comme le vent qui voletait sur la surface des eaux, au premier jour de la création, comme le vent qui séchait la mer rouge, y traçant un passage, et aussi comme la brise légère qui signale la présence de Dieu au prophète Elie.  Le vent au Cénacle était si fort qu’il ouvre portes et fenêtres, pousse les apôtres dehors en chassant la peur qui les habitait.

Dans ce récit des Actes des apôtres, nous pouvons également discerner une histoire plus ancienne mais encore très actuelle :  la Tour de Babel –nom qui signifie en akkadien :  « porte de Dieu »-, ce récit du livre de la Genèse, où les hommes se mettent à construire une tour de briques et de bitume, pour atteindre le ciel.  Ils veulent, par leurs propres forces, rentrer au ciel par effraction.  Rêve de toute puissance où Dieu n’est pas pris en compte :  il en est même évacué !  La Pentecôte est à l’opposé de cet épisode :  c’est Dieu lui-même qui vient vers les apôtres et les fait entrer dans le mystère d’un langage nouveau, celui de l’Esprit.  Ne peut-on pas penser, en effet, qu’avant de sortir de la chambre haute, ce sont les apôtres eux-mêmes, qui, en premier lieu, ont entendu l’Esprit leur parler dans leur propre langue maternelle :  car on ne peut transmettre que ce qu’on a vécu et compris.

Les hommes venus des différents pays entendaient donc les apôtres leur parler à leur tour dans leur propre langue maternelle.  Ils étaient rejoints dans leur être profond, chacun dans son originalité.  Il me semble important de souligner à ce propos que la compréhension que l’homme acquiert de lui-même et de son monde est toujours en lien direct avec le langage.  La langue maternelle est le lieu où la personne se construit.  C’est par le langage qu’elle entre dans une culture qui la précède.  C’est le langage qui nous rend humains et personnels.  C’est le langage qui permet la communication, c’est donc aussi le langage qui permet d’entendre l’autre.  Dans ce texte, n’est-il pas encore question d’une dimension plus élevée du langage :  l’écoute de la Parole que Dieu lui-même veut nous dire, à laquelle l’Esprit nous donne accès, en nous faisant entrer dans sa conversation ?

La Pentecôte n’est pas la célébration d’un événement passé.  C’est aujourd’hui que l’Esprit Saint vient nous rejoindre là où nous sommes.  Ecoutons-le !

 Fr. Manuel Akamine