Le temps passe vite.  Vendredi, nous avons fêté la Noël, la crèche, l’enfant qui vient de naître, la nuit la plus longue de l’année, les bergers qui entendent chanter les anges :  « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime. »  Dieu est venu au monde ; l’incarnation s’est accomplie.

Par la « magie » de la liturgie, aujourd’hui, dimanche, deux jours après, nous célébrons les douze ans de Jésus.  Si nous écoutons ce récit évangélique comme un midrash (un style de commentaire typique de la tradition juive), nous pouvons entendre que l’évangéliste Luc voulait faire l’éloge de la sagesse de l’enfant Jésus et peut-être aussi, du point de vue théologique, nous faire percevoir l’émergence progressive en lui du Christ.  Il n’a pas encore treize ans, l’âge de la majorité religieuse, mais…  il est fort doué !  Jésus, comme tout jeune juif formé à la tradition de sa foi, connaissait par cœur la Torah.  Mais Jésus, manifestement, surpassait ses condisciples.

Douze ans, c’est l’entrée de l’adolescence, moment de grands changements biologiques, psychologiques et spirituels.  Le chiffre douze a une place importante dans l’univers symbolique judéo-chrétien :  douze tribus d’Israël, douze apôtres, les douze étoiles et les douze portes de l’Apocalypse.  « Douze » symbolise une plénitude, quelque chose d’accompli.  Pour Jésus, l’enfance arrive au terme.  Une autre étape de sa vie commence.

Aujourd’hui, avec la sainte famille, nous montons à Jérusalem à l’occasion de la fête de Pâques pour commémorer la libération d’Egypte.  C’est une des trois grandes fêtes de pèlerinage, avec la Pentecôte et la fête des Tentes.  Toujours dans la dynamique de l’évangile selon Luc, Jésus monte lui aussi trois fois à Jérusalem.  La première fois, il y est porté bébé dans les bras de ses parents pour être présenté au temple.  A cette occasion, on nous dit :  « L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui. »  Aujourd’hui, à la seconde montée à Jérusalem, le commentaire à la fin de la péricope a changé significativement :  « Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes. »

Je voudrais attirer votre attention sur un aspect particulier de la rédaction du texte que nous venons d’entendre :  On nous dit que les parents de Jésus allaient à Jérusalem.  Mais Jésus n’est pas mentionné.  C’est comme si Jésus était inclus dans le mot « parents ».  Sa présence est sous-entendue.  Il leur est comme fusionné.  Mais à la fin du récit, il leur est dissocié :  « Il (Jésus) descendit avec eux pour rentrer à Nazareth. »  Quelque chose s’est passé.  Il monte enfant, il descend plus mûr, différent.  Il a pris une certaine distance vis-à-vis de ses parents.

Concentrons-nous maintenant sur la présence de Jésus dans le temple.  Là, pour la première fois, nous allons l’entendre parler.  Il est assis au milieu des docteurs de la loi et des scribes.  Il écoute, il répond.  Il y a deux cercles.  Le premier avec lui au centre, entouré des scribes, et un second, plus extérieur composé de spectateurs et d’auditeurs de passage.  Ces derniers étaient extasiés.  Il y a un climat d’étonnement, d’émerveillement, mais, curieusement,  Luc ne dit rien de ce qui se ressent dans le cercle central.  De quoi parlaient-ils donc ?  Sûrement de la Torah!  Mais, quel passage était commenté ?  Voilà un espace de silence qui restera voilé à jamais.

L’enfant s’était donc égaré.  Ses parents l’ont cherché pendant trois jours.  Comme les trois jours qui séparent la mort de la résurrection de Jésus.  Comme les trois montées à Jérusalem.  Trois, dans la tradition biblique, c’est le délai pour rencontrer Dieu.

Chacune des trois montées est l’occasion d’une révélation.  A la présentation, Siméon et Anne vont révéler avec joie la grâce de voir le messie attendu.  A la montée au temple, avec les scribes, Jésus révèle sa filiation divine :  « C’est chez mon Père que je dois être ».  La troisième fois, quelques années plus tard, Jésus, ressuscité d’entre les morts, révélera sa divinité.

La première lecture, tirée du premier livre de Samuel, aide notre réflexion.  Comme Jésus, Samuel, dont le nom signifie « Dieu entend, Dieu exauce », est un enfant du miracle.  Environ mille ans les séparent, mais le projet du Seigneur est unique.  Ils font partie de la même histoire sainte, car c’est au cœur de l’histoire des hommes, des familles bien humaines, que notre Dieu accomplit son projet.  Il a de la patience.  Pour lui, mille ans sont comme un jour.  Avec Samuel, nous sommes à la fin de l’époque des juges et au début de la royauté en Israël.  C’est Samuel qui donnera l’onction royale à David, Fils de Jessé, l’ancêtre de Jésus.

La deuxième lecture, tirée de la première lettre de saint Jean, est importante.  Elle nous donne la clef de notre vie de foi. Elle nous dit :  « Voyez, mes fils bien-aimés, voyez », nous invitant à regarder notre histoire et l’histoire de l’humanité avec les yeux de la foi, car nous aussi, nous sommes fils de Dieu.  Comme il est important de savoir regarder, de changer notre regard sur Dieu, sur nous-mêmes et sur les autres.  Discerner les signes des temps, c’est regarder avec les yeux de la foi.  Changer son regard fait partie de tout travail de conversion.  C’est un travail lent.  Pour nous, chrétiens, ce travail se fait sur les traces de Jésus, avec l’aide de sa parole et sous la lumière de la foi.

Aujourd’hui, c’est la fête de la famille chrétienne.  Aujourd’hui, plus que jamais, il est important de réfléchir et d’agir pour transmettre la mémoire et les traditions de notre foi, nous réapproprier en famille notre tradition culturelle et spirituelle.  Mais à ce propos, il faut encore préciser que la famille parfaite n’existe pas.  Sainteté ne veut pas dire perfection.  D’ailleurs, même la sainte famille n’était pas parfaite.  C’est seulement un jour plus tard que les parents de Jésus ont constaté l’absence de leur fils de douze ans !…  Mais Jésus également est pris en faute, de n’avoir pas averti ses parents de ce qui ressemble quand même beaucoup à une fugue!  Toute famille a pour vocation de devenir non pas parfaite, mais sainte.  Les nôtres aussi !  Bien sûr, avec l’aide de notre Dieu.

Amen !

Fr. Manuel