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Il est beau de se rendre ces jours-ci dans les cimetières et voir les personnes se recueillir devant la tombe d’un parent proche ou d’une connaissance. Je sais que le jour des défunts est le lendemain de la Toussaint, mais aujourd’hui, la tradition reste de visiter celles et ceux qui sont dans notre histoire et dont nous voulons nous rappeler la présence encore actuelle avec nous dans notre vie. Car se rendre sur une tombe, ce n’est pas se lamenter sur un mort, c’est bien plus reconnaître la vie de celle ou celui qui est absent dans le monde mais encore infiniment présent dans notre cœur. Cela signifie que nous ne pouvons pas nous laisser tourmenter et enfermer par le regret d’un passé irréparable ; le souvenir peut éclairer et soutenir notre vie présente pour nous tirer vers l’avant. Comme les béatitudes nous y invitent ce matin.

Je crois que nous pouvons voir dans cette fête, une fête de l’espérance. Si, devant une situation très pénible, je me sens obligé à renoncer à l’espérance, je pense alors que Dieu n’existe pas. Il est rare d’être à la fois croyant et désespéré. Comme chrétien, la croix est notre signe d’espérance ultime.

En effet, nous pouvons faire ici une différence intéressante entre espoir et espérance. L’espoir serait de projeter une image du présent dans le futur: par exemple, j’ai l’espoir de vite retrouver mon amie que je suis triste d’avoir perdue et dont je garde le souvenir précis dans mon esprit. Tandis que l’espérance serait le contraire, plutôt une projection du futur dans le présent, par exemple: j’espère que la foi que j’ai dans le Dieu de la vie m’aidera à vivre le deuil que je traverse aujourd’hui.

Notre foi dans le Dieu de Jésus Christ, si petite soit-elle, va nous aider à éclairer l’obscurité de nos deuils, pour purifier le visage dont nous gardons le souvenir. Un philosophe disait qu’une fois disparu, le visage est embelli et offre à nos yeux, sous une forme spirituelle, l’un des aspects éternels du visage de l’humanité.[1]

Ainsi transfiguré, nous voulons reconnaître que le défunt est présent dans le cœur de Dieu. Alors notre rencontre s’élargit et nous sommes ensemble dans le cortège des saints qui nous entourent et nous encouragent à regarder devant nous et à entretenir notre espérance.

Ce jour est sacré car il est l’occasion pour tant de personnes croyantes ou mal croyantes, de faire quelques pas dans la prière et d’exprimer leur relation vivante avec leurs défunts proches.

Il n’est pas rare d’entendre dire : je ne sais pas prier, je n’ai pas le temps, à quoi ça sert d’aller sur les tombes ? Et aujourd’hui, même si nous n’irons pas tous dans les cimetières vénérer nos ancêtres ou ceux qui ont croisé notre route, nous penserons à eux et ils seront proches de nous. Notre prière peut cultiver la relation et entretenir la présence.

Je me rappelle, il y a quelques années, j’étais chez mes parents un jour proche de la Toussaint, et ma mère m’avait expliqué qu’à cette occasion, elle ne pouvait faire des km pour visiter les cimetières où était sa famille, alors elle composait un beau bouquet dans sa maison en souvenir de tous les défunts qu’elle voulait honorer et toute la journée, sa famille et ses proches étaient dans son cœur.

Dans notre culture, les fleurs que nous offrons aux défunts sont le signe de notre prière et de l’amour qui nous lie mystérieusement à eux. Quand ils étaient vivants sur la terre, nous étions souvent trop timides pour leur exprimer en vérité notre prière et notre amour. Désormais séparés par la mort, nous sommes intimement liés à eux.

La séparation d’avec les êtres aimés ou les ruptures incomprises nous rendent tristes, nous restons avec un sentiment d’inachèvement. Pourtant une séparation ne serait-elle pas l’occasion privilégiée pour revisiter notre relation et exprimer à l’absent notre amour dans ce qu’il a d’essentiel ? Nous sommes enfin dans une proximité qui permet une nouvelle communion.

Dans le silence d’un cimetière baigné par la froidure de l’automne, dans le silence d’une chambre où l’autre aimé est absent, nous sommes seuls et cette solitude permet l’intimité de la rencontre, l’espérance d’une nouvelle relation. Dans la foi, nous croyons que la mort est morte et notre vie et vraiment vivante. C’est aussi cela l’espérance.

Fr. Pierre Gabriel

[1] Cfr L.Lavelle, La conscience de soi, ed. Christian de Bartillat, p.168

Lectures de la messe :
Ap 7, 2-4.9-14
Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6
1 Jn 3, 1-3
Mt 5, 1-12a

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