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En tant que prieur de la communauté, j’ai le privilège et le devoir de me rendre tous les quatre ans au congrès des abbés bénédictins à Rome.

Outre la tenue de nombreuses réunions et délibérations, nous profitons de l’occasion pour saluer le pape au Vatican, nous recueillir à Subiaco, lieu où vécut notre père saint Benoît, et aussi pour célébrer des vêpres solennelles à la basilique de saint Paul-hors-les-murs, église presque aussi grande que la gare du midi. En cet espace sacré, s’avança notre procession d’abbés et de prieurs, honorée par la présence de quelques cardinaux. Une colonne blanche, noire et rouge de plus de 300 personnes, nimbée d’encens, de chants grégoriens, remplissait le chœur de l’édifice et déployait sa célébration jusqu’à la proclamation de l’Evangile faite par un prélat habitué aux grandes liturgies romaines. Et quel évangile, je vous le demande : et bien celui que nous avons entendu aujourd’hui ! Un peu d’attention sincère ne pouvait que faire monter un petit malaise tempéré par un sourire:  » Ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges » et d’autre part dentelles, surplis, calottes et capuchons bien ajustés.  » Ils aiment les places d’honneur dans les synagogues »… Et je tourne le regard et vois les laïcs et touristes tenus à distance de l’autre côté d’un cordon rouge.  » Ils aiment recevoir le titre de rabbi » et nous entendons chuchoter  » Eminence, Monseigneur, révérend père Abbé ». Qu’on le veuille ou non, ce que nous reprochons aux pharisiens nous revient souvent en pleine figure: flagrant délit de pharisaïsme qu’on nomme aujourd’hui cléricalisme. Mais ne tombons pas dans la caricature: Le problème n’est pas d’être pharisien ou clerc, prêtre ou religieux, le problème est de faire du terrain de la religion et de la foi un domaine de pouvoir et de domination. Et le pape François en est bien conscient quand il dit qu’un des dangers le plus important pour l’Eglise d’aujourd’hui est le cléricalisme.

Cette problématique n’est pas nouvelle et est déjà dénoncée dans le premier testament, par exemple dans cet avertissement du prophète Malachie adressé aux prêtres: Vous abandonnez l’écoute du sens profond de la Parole de Dieu. Vous oubliez que Dieu est Dieu et que vous n’avez pas à prendre sa place pour décider ce qui est bien et ce qui est mal en l’imposant aux autres. Vous n’ajustez pas votre comportement à la Loi que vous proclamez. Vous alourdissez la vie des gens au lieu de les rendre libres.

Mais d’où vient ce mal ? Qu’est-ce qui fait tomber les gardiens et les interprètes de la Parole dans l’extériorité et la recherche de pouvoir ? Les lectures de ce dimanche nous mettent sur la piste de façon subtile en évoquant la figure féminine et maternelle dans le psaume:  » Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. », et dans la seconde lecture:  » Frères, nous avons été plein de douceur avec vous, comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons. » Saint Paul transmet la Parole, il fait œuvre d’homme de Dieu en disant la Parole, mais il est aussi comme une mère pour ceux qui l’écoutent. Complémentarité et collaboration du masculin et du féminin dans l’annonce de l’Evangile garantissent l’équilibre de la foi.

Il fut jadis partisan de la violence car il avait fait de la Torah un outil idéologique. La rencontre du Ressuscité l’a retourné et l’aveuglement temporaire qu’il a connu alors l’a remis dans la situation de dépendance du petit enfant par rapport à sa mère. Il reconnecte avec la part féminine de l’humain pour devenir pleinement serviteur de la Parole et apôtre.

On sait que Jésus accordait beaucoup d’importance aux femmes, à leur intuition, à leur sensibilité. En faisant cela, il s’opposait d’ailleurs souvent aux docteurs et aux légistes qui sont toujours prêts à les soumettre au nom d’une loi inflexible et en deuil de son côté féminin. Quand la logique rationnelle et froidement légale a mené Jésus au calvaire, ce sont les femmes qui ont pris le relais jusqu’à l’annonce de la Résurrection. Pour que la foi révèle sa véritable autorité, elle a besoin de la présence du visage féminin: présence de Marie qui suit discrètement son fils, puis se tient aux côtés des apôtres, Myriam accompagne Moïse et Aaron, Esther sauve le peuple de la catastrophe, Tamar donne une leçon de justice à son beau-père Juda, etc…

Suivre le cléricalisme, c’est laisser dans l’ombre une partie de l’humain, c’est diviser le peuple entre ceux qui disent et ne font pas, qui restent au niveau des idées sans les incarner, et ceux qui entendent et qui font ce qu’ils peuvent, à savoir qui s’engagent dans leur comportement et se débattent avec les problèmes de la vie telle qu’elle est.

Pour retrouver l’unité, c’est le visage féminin qu’il faut réintroduire dans notre Eglise, dans les institutions, dans la politique intérieure et les relations internationales. Le pape, à ce sujet est assez clair:  » Comment peut-on refaire l’unité? Comment la retrouver? Je crois qu’on ne doit pas oublier le rôle des femmes. Les femmes ont cette capacité maternelle d’unir… C’est la maternité comme unité. »

Aussi, pour que la rigueur, la loi, l’interdit, le commandement fonctionnent, il convient qu’ils restent enracinés dans le féminin qui garde uni sans confusion ce que la parole a séparé.

Combien de femmes ne maintiennent-elles pas l’unité de familles, d’organisations par leur présence, leur service, leur écoute, leur miséricorde?

Le Christ a choisi cet équilibre entre ce qui sépare et ce qui unit, et du haut de sa croix où son abaissement l’a élevé, il réconcilie parole et action, dire et faire, paraître et être, trancher et unir, extérieur et intérieur, homme et femme pour la plus grande gloire de Dieu.

Fr. Renaud Thon

Lectures de la messe :
Ml 1, 14b – 2, 2b.8-10
Ps 130
1 Th 2, 7b-9.13
Mt 23, 1-12

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