Difficile d’imaginer aujourd’hui la scène que nous décrit l’évangile ! De jeunes pêcheurs en train de travailler avec leur père quittent subitement la barque pour suivre un inconnu qui les appelle. Les deux premiers étaient déjà à la pêche, les deux autres préparaient leurs filets. Et Matthieu insiste en répétant deux fois : «Aussitôt, laissant leurs filets, leur barque et leur père, ils suivent Jésus »… Peut-être y a-t-il là ce grain de folie et cette passion soudaine qui pousse des jeunes de chez nous à s’en aller combattre en Syrie ? Peut-être l’évangéliste se souvient-il de l’appel auquel lui-même a répondu quand il était assis à sa table de collecteur d’impôts ? Peut-être aussi veut-il souligner la forte personnalité de Jésus, qui est capable de séduire et d’entrainer n’importe qui à sa suite ? Quoi qu’il en soit, le récit est probablement stylisé, raccourci ou idéalisé – peu importe : ce qui nous intéresse, c’est le message qu’il veut nous transmettre et qui répond à la question : comment suivre Jésus ? que signifie être son disciple ?

Deux remarques préliminaires nous sont fournies par le texte lui-même. D’abord, dans l’évangile de Matthieu que nous lisons cette année, il s’agit de la première action publique de Jésus. Sa mission commence par l’appel des apôtres. Il ne va pas mener une action individuelle, il s’entoure de quelques disciples.

Ensuite, on nous dit que Jésus quitte Nazareth pour venir habiter à Capharnaüm. Vous connaissez le sens péjoratif de ce mot dans le langage courant : un lieu plein de désordre. De fait, la ville de Capharnaüm se situe au bord du lac, au croisement des routes Nord-Sud et Est- Ouest, route vers la mer et donc ville commerçante… et qui plus est loin du Temple de Jérusalem, donc des gens peu pratiquants de tous les préceptes des prêtres de l’époque… bref le « carrefour des païens » comme on appelait la Galilée. C’est dans ce milieu que Jésus choisit son équipe de base. Ceux qu’il appelle à le suivre ne sont pas des champions de la Bible ou de la liturgie, ce ne sont ni des scribes ni des docteurs de la loi, ce sont des gens tout- à-fait ordinaires. De simples pêcheurs. Ceci non plus n’est pas insignifiant. Tirant les poissons de ce monde maléfique que représente la mer pour les Juifs, ils sont destinés à tirer les humains hors du mal : « je vous ferai pêcheurs d’hommes ». Désormais ils prendront à leur compte l’appel du Christ : « convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche ». De ceci nous pouvons tirer deux conséquences pour notre foi.

La première, c’est que nous sommes appelés tels que nous sommes pour suivre Jésus. Les chrétiens, comme les moines et les curés, ne sont pas des citoyens différents des autres, mis à part de l’humanité. Qu’ils soient blancs ou noirs, riches ou pauvres, manuels ou intellectuels, jeunes ou vieux… ils partagent – comme Jésus lui-même – une commune condition humaine. Une deuxième conséquence pour notre vie chrétienne vient de la Galilée, où Jésus proclame la Bonne Nouvelle et guérit maladies et infirmités. Autrement dit, le règne de Dieu, ce monde nouveau que Jésus annonce et commence à réaliser est pour tous. Aucun être et aucune situation de notre monde imparfait n’échappe à la proximité et à l’amour de Dieu.

St Matthieu cite le prophète Isaïe et les territoires de Zabulon et de Nephtali. Ce sont les noms de deux des douze fils de Jacob, dont les tribus ont occupé les terres qui correspondent grosso modo à la Galilée du temps de Jésus. Pays de l’ombre et de la mort, région peu fréquentée déjà au temps d’Isaïe par la bonne société juive. Aujourd’hui comme alors, il faut que la lumière de la Parole de Dieu arrive à tous les hommes.

Les disciples l’ont compris dès le début. Paul et Pierre sont venus vers l’occident et Rome, d’autres vers l’Est – aujourd’hui les Syriaques et les Chaldéens, d’autres encore vers le Sud – l’Ethiopie et les coptes d’Egypte, à partir du 9e siècle les pays slaves, puis avec les grandes découvertes du 16e le monde entier…A tous le même message : convertissez-vous, laissez- vous renouveler : Dieu est proche.

Quand le pape François invite l’Eglise à sortir vers sa périphérie, il ne fait qu’actualiser ce qu’a fait Jésus. Le suivre, c’est aller avec lui à la rencontre de toute humanité, se rendre proche de chacun et surtout de celui qui vit à la marge.

Suivre Jésus, ce n’est pas s’enfermer dans un système religieux, c’est devenir de plus en plus son ami, l’accompagner, partager sa parole et son pain…C’est en se rapprochant de lui que nous nous rapprocherons les uns des autres et que nous trouverons l’unité. « Le Christ est-il divisé ? » s’écriait Paul en apprenant que les chrétiens de Corinthe se disputaient entre factions opposées. Le témoignage de l’unité entre les chrétiens est aussi un enjeu important de notre temps. Cette unité viendra de l’attachement de chacun à la personne de Jésus. Car nous n’avons pas à douter de l’attachement de Jésus à chaque être humain. Et nous deviendrons pêcheurs d’hommes.

Abbé René Rouschop

Lectures de la messe
Is 8, 23b à 99, 3
Ps 26
1 Co 1, 10-13.17
Mt 4, 12-23

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