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Dimanche dernier, Matthieu nous a donné un résumé de la prédication de Jésus : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » Aujourd’hui, dans les béatitudes, Jésus reprend deux fois la même expression : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. » Avec beaucoup d’à-propos, les livres liturgiques écrivent royaume des Cieux en mettant une majuscule au mot Cieux. En effet, dans la langue de Matthieu, ce mot désigne Dieu lui-même. Jésus parlait du royaume des Cieux en respectant l’usage juif qui hésite à prononcer le nom divin, saint et redoutable. Matthieu a conservé dans son évangile cette façon de parler, qui convenait à la sensibilité de ses destinataires, eux aussi d’origine juive. Marc et Luc, par égard pour leurs lecteurs issus d’autres univers culturels, ont transposé cette expression trop palestinienne et parlent du royaume de Dieu. Les deux versions sont strictement équivalentes et il serait vain d’y chercher des nuances.

Traditionnellement et au moins jusqu’au deuxième concile du Vatican, la liturgie chrétienne a lu l’évangile de Matthieu plus volontiers que ceux de Marc et de Luc, parce qu’il portait le nom d’un apôtre et avait été placé pour ce motif en tête des écrits du Nouveau Testament. Si le même épisode est raconté par plusieurs évangiles, on préférait la version de Matthieu. Son évangile a ainsi forgé notre culture chrétienne, de sorte que, sans même nous en rendre compte, quand nous citons l’évangile de mémoire, nous avons tendance à emprunter le vocabulaire et à épouser les idées de Matthieu. Par exemple, nous parlons spontanément du jeune homme riche, alors que Matthieu seul l’a trouvé jeune.

À propos du royaume de Dieu ou des Cieux, nos oreilles chrétiennes se sont ainsi accoutumées à l’expression qui nous était culturellement la plus éloignée, et du même coup la moins intelligible. Entendant parler du royaume des Cieux, nous avons cru qu’on nous parlait du ciel, c’est-à-dire de l’au-delà. Une immense partie de l’évangile a dès lors été interprétée comme un code de conduite à embrasser pour « mériter son ciel », pour accéder au Paradis. C’était réduire fâcheusement la portée des paroles de Jésus. Un seul verset de la bonne nouvelle suffit à pulvériser cette conception trop étroite : Le royaume de Dieu est au milieu de vous (Luc 17,21). Sur la guitare d’un de mes professeurs, qui vivait pourtant sous la dictature, il était écrit : « Le jour d’être heureux est le jour d’aujourd’hui. »

Il reste toutefois que le règne de Dieu n’est pas encore établi complètement. Quand vous priez, dites : Père… que ton règne vienne. On ne le dirait plus si c’était chose faite, achevée. Dieu nous convie à un bonheur plus grand. Et comme il voudrait, si c’était possible, que nous ne soyons pas moins heureux que lui, il nous demande d’être saints comme il est saint, parfaits comme il est parfait. Nous sommes appelés à la sainteté, parce que c’est le plein épanouissement de tout ce que nous sommes, la perfection de notre personnalité, la maturité de nos richesses naturelles, bref, parce que Dieu n’a pas de plus grand bonheur à nous offrir.

C’est donc bien à tort qu’on opposerait notre désir de réalisation de nous-mêmes et la volonté de Dieu. Dieu ne veut pas briser notre personnalité, mais l’acheminer vers sa plénitude. On risque peut-être, cependant, de confondre réalisation de soi et souveraineté du moi. On imagine parfois que nos aspirations peuvent – ou doivent – devenir l’ultime référence, la norme dernière de tous les bons choix. Mais Dieu désire pour nous un bonheur moins étriqué que nos rêves. Tout l’évangile que nous allons entendre au fil des dimanches va nous inviter à entrer dans ses vues, parce qu’il connaît mieux que nous le chemin de notre joie.

Fr. François Dehotte

Lectures de la messe  :
So 2, 3 ; 3, 12-13
Ps 145
1 Co 1, 26-31
Mt 5, 1-12a

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