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En un temps où Dieu avait enfin donné à son peuple nomade une terre où habiter, en un temps où le peuple se trouve confronté à des conditions de vie moins rudes et à l’attrait des idoles des peuples environnants, l’auteur du Deutéronome invite son peuple à relire son passé douloureux pour s’en souvenir et en saisir le sens, afin d’approfondir sa relation à Dieu, C’est l’invitation à laquelle les lectures nous convient ce matin. Je vous propose cette démarche alors que la crise n’est pas totalement et définitivement traversée. Prendre du recul par rapport à cette crise pour susciter à notre niveau une prise de conscience de ce que nous avons vécu et appris sur nous-mêmes, sur les autres et sur Dieu. Sans cela nous risquons très vite de renier notre identité, d’être repris par nos habitudes anciennes et par les idoles proposées par la société. (Les dieux argent, rentabilité à tout prix, pouvoir, consommation effrénée)

Comme fil conducteur, je paraphraserai la première lecture : « Souviens-toi de cette traversée douloureuse du désert te révélant la fragilité, la tienne, celle de tes proches et celle de toute l’humanité. » Alors que les progrès techniques et scientifiques suscitaient un sentiment de toute puissance, un simple virus nous a fait prendre conscience de la pauvreté de notre savoir et de notre pouvoir. Je ne dirais pas, à la suite de l’auteur du Deutéronome et comme l’affirment certaines personnes : « C’est Dieu qui punit notre humanité de son inconscience, de sa consommation effrénée et de son exploitation de la maison commune. » Ne lit-on pas au livre de la Sagesse ; « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il a créé toutes choses pour qu’elles subsistent. » (Sg 1, 13 …) Reconnaissons humblement nos tors et la part de responsabilité de nos sociétés.

Cette épreuve du coronavirus nous a fait passer par le confinement, expérience limitant les occasions de fuite, de distractions, pour vivre la confrontation avec nous-mêmes. Expérience déroutante mettant en questions nos habitudes et mettant au jour ce que nous avons dans le cœur : peur pour nous-mêmes et notre santé ; peur pour les autres, pour nos proches ; peur des autres éventuels porteurs du virus sans compter l’angoisse du lendemain ! Rejoignant ces sentiments en commentant le passage d’évangile de la tempête sur le lac, le pape François lança  : « N’ayez pas peur. ! » (Mt 28, 5) Invitation aux hommes et aux femmes de bonne volonté à ne pas se laisser abattre, à résister à l’épidémie, à se soutenir mutuellement. Que d’initiatives surgirent en ce sens !

Revenons à notre relecture : « Durant cette longue marche, Dieu t’a donné à manger la manne, nourriture que ni toi, ni tes pères n’aviez connue. » Pour certaines légendes juives, il s’agit d’une nourriture merveilleuse ! Par contre pour le Deutéronome, la manne du désert était comme un aliment bizarre, une nourriture de « pauvreté » qui laisse le peuple sur sa faim. Signifiant par-là « que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche de Dieu » (Dt 8, 3) Israël fut confronté aux serpents, aux scorpions dans le désert. Le confinement nous a fait sentir la morsure du manque de relations familiales et amicales chaleureuses non satisfaites totalement par le recours au GSM, à internet. Morsure atteignant principalement des personnes séjournant en maison de repos déprimées ou se laissant mourir suite à l’absence de visites. Solitude cruellement ressentie suite à l’impossibilité d’accompagner des proches malades ou en fin de vie !

Malgré la créativité de certains et les moyens techniques mis en œuvre, plusieurs d’entre vous ont ressenti douloureusement la privation de la communion au Christ, pain de vie, qui se donne pour alimenter la foi et l’espérance. Expérience leur faisant communier à la multitude des communautés chrétiennes privées de la messe régulière et recourant à la Parole comme nourriture pour la route. Soudain l’eucharistie devenait un don et non un dû ! Tel fut d’ailleurs perçu le don de la manne dans le désert ! Pour d’autres, ce fut l’occasion de s’associer aux eucharisties transmises par les media.

Manque encore de ne plus être convoqués et rassemblés à la même table du Père en famille pour le repas du plus grand amour en recourant à une célébration à domicile. Occasion pour certains d’entre vous de faire œuvre de créativité et de redécouverte en lisant certains textes en famille, en les mettant en scène et les actualisant avec les enfants !

Mais aujourd’hui est jour de retrouvailles ! Aujourd’hui pour nous, dans nos déserts, Dieu fait jaillir une eau vive de la roche la plus dure, comme il le fit au désert pour nos pères et mères dans la foi. Aujourd’hui, il fait jaillir du cœur du Christ mort, corps inerte comme une pierre mais ressuscité, une eau vive. Eau vive partagée avec la foule de ses disciples, eau vive donnant à Etty Hillesum, internée dans le camp de concentration de Westerbork la force d’écrire dans son journal : « La vie est belle. » Eau vive partagée à travers le personnel soignant se donnant corps et âme pour sauver les malades atteints du coronavirus parfois même en prenant des risques et pour certains en donnant leur vie. « Quand vient le temps de l’épreuve l’émerveillement n’est pas incongru mais vital », affirme Bertrand Vergely.

Émerveillement encore lorsque Jésus, selon saint Jean, peu de temps avant sa Pâque, autre temps d’épreuve, dit aux foules « Je suis le pain vivant. Le pain que je donnerai c’est ma chair donnée pour la vie du monde. » Pour un juif, c’est mieux que la manne qui laissait le peuple sur sa fin. Jésus se fait don mystérieux à travers le don de sa vie symbolisé par un peu de pain et un peu de vin nous associant ainsi à sa vie de fils et de filles bien aimés du Père. Aujourd’hui, vu les circonstances, nous nous limiterons au signe du pain livré pour nous et à partager à la multitude des affamés. A nouveau, nous ressentirons un manque : pas de communion sous les deux espèces, nombre limité de personnes accueillies. C’est que l’eucharistie est présence réelle de Dieu qui alimente en nous le désir de dépasser la pauvreté du rite pour accueillir dès aujourd’hui la vie éternelle partagée par Jésus, vie qui débloque les angoisses et les impasses d’un aujourd’hui fermé sur lui-même !

Frères et sœurs, Moïse invita Israël à relire son histoire sainte, ces moments de vérité où Dieu est venu à la rencontre de sa pauvreté et où Israël a consenti à se laisser conduire non sans résistances ! Le peuple y puisa force pour rester fidèle à son Dieu et ne pas renier son identité. An niveau personnel, de notre couple, de notre communauté voir au sein même de notre famille pourquoi ne prendrions-nous pas du temps pour relire notre traversée de la crise à la lumière de l’une des lectures de ce jour (ce que nous avons vécu et appris) pour qu’elle devienne partie intégrante de notre histoire avec Dieu  et avec les hommes et les femmes d’aujourd’hui et de demain ?

Fr. Jean Albert Dumoulin (inspiré par « Feu Nouveau « 63/4 avril-mai 2020)

Lectures de la messe :
Dt 8, 2-3.14b-16a
Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20
1 Co 10, 16-17
Jn 6, 51-58

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