22062025

Quand j’étais au séminaire, pas très longtemps après le dernier concile, je suis allé au mariage d’un ancien condisciple. L’eucharistie était présidée par l’abbé Philippe Mawet, que personne ne suspecte d’hérésie. Après la célébration, devant l’église, j’ai rencontré un homme qui m’a dit : « Je me demande si la messe était valide : au moment de la consécration, le prêtre n’a pas levé les yeux au ciel. » Je me suis dit : « S’il ne faut que cela pour apaiser ceux qui n’ont pas digéré la réforme conciliaire, je le ferai. » Devenu prêtre, j’ai pris et gardé l’habitude de ce geste. La première prière eucharistique, qui était la seule disponible avant le concile, dit en effet : « La veille de sa passion, il prit le pain dans ses mains très saintes et, les yeux levés au ciel, vers toi, Dieu, son Père tout-puissant… » Les rubriques du missel précisent que le prêtre, en disant cela, lève les yeux au ciel. On peut alors se demander d’où vient ce détail. Aucun évangile ne le mentionne, Paul ne nous l’a pas dit dans la seconde lecture de ce matin. Mais la prière eucharistique suggère ainsi que, le soir du jeudi saint, Jésus reproduit les gestes qu’il a posés lors de la multiplication des pains : il lève les yeux au ciel, il prononce la bénédiction, il rompt les pains et les donne à ses disciples. Il doit avoir une façon bien personnelle de faire tout cela, car c’est à cela que les compagnons d’Emmaüs le reconnaîtront, après avoir marché et devisé longuement avec lui sans pour autant réussir à l’identifier.

Quand je préside l’eucharistie, je lève donc les yeux vers le ciel. L’architecture de notre église est propice à cet égard, puisque le prêtre, s’il lève les yeux, aperçoit vraiment le ciel. Il est parfois très beau, voire émouvant. Je ne crois pas que Dieu soit au ciel plus que partout ailleurs. Je le reconnaîtrais plus volontiers sur vos visages. Mais regarder le ciel, c’est le geste de Jésus et il sait mieux que moi la signification qu’il lui donnait. Je crois qu’il peut vouloir dire : « Le pain que j’ai en mains est le fruit de la terre et du travail humain, mais pas seulement. Il est aussi le pain du ciel, dès avant sa consécration. »

L’eucharistie est le repas au cours duquel nous reproduisons les gestes de Jésus, ceux qu’il a posés la nuit où il était livré, comme vient de nous le rappeler saint Paul, mais aussi ceux qu’il avait déjà faits au moment de nourrir une foule. Or, en cette occasion, il avait commencé par dire à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Vous n’avez que cinq pains et deux poissons ? C’est mieux que rien. Donnez-les. Avec vos cinq pains et vos deux poissons, je peux nourrir cinq mille hommes. Et même davantage, puisqu’il y aura douze paniers de trop. Mais avec rien, je ne peux nourrir personne.

Pour l’eucharistie, nous n’avons pas besoin de poisson (même si nos patènes en ont la forme), mais il faut aussi du vin. Cela nous renvoie à un autre récit évangélique, où Marie dit à Jésus : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus ne dit pas aux apôtres : « Donnez-leur vous-mêmes à boire. » Ils n’étaient pas venus à la noce avec leurs gourdes. Mais Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d’eau les jarres. » Jusqu’au bord. Le raisonnement est similaire. Avec votre eau, je peux faire du vin, six cents litres si vous voulez, ça devrait suffire. Mais avec rien, je ne peux désaltérer personne.

Nous célébrons le sacrement de la pure gratuité. Jésus se donne à nous sans compter. Mais il n’y a pas d’eucharistie sans nous, sans un don de nous-mêmes. Dans une prière après la communion, au temps de Noël, nous disions naguère : « Quand nous allons communier, Seigneur, tu viens à notre rencontre. » La rencontre suppose qu’on soit au moins deux. Il n’y a pas moyen d’aller à la rencontre de personne. En levant les yeux vers le ciel, on devine que c’est Jésus qui fait la plus grande partie du chemin. Mais ce serait peine perdue s’il n’y avait personne pour tendre les mains vers lui.

Frère François

Lectures : Gn 14, 18-20 ; 1 Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17

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