La liturgie les associe, et même les réunit. Elle fête ensemble ceux qu’elle regarde comme les deux colonnes de l’Église. Pourquoi ? La découverte du Christ, l’amour du Christ les rapproche mais en même temps leur personnalité les sépare. On a le sentiment qu’ils viennent au Christ par des voies différentes. Pierre vient au Christ par les pieds, en accompagnant Jésus de Nazareth sur les routes et dans les villages, en allant à la pêche avec lui. Paul de son côté, réfléchit, il pense la portée et la nouveauté qui vient de Jésus.
On a l’impression que pour Pierre tout a commencé avec cette question que Jésus pose à tous ses disciples : « qui dites-vous que je suis ? Pour vous, qui suis-je ? ». C’est une question-clé et pour le moment, c’est Pierre qui, parmi les disciples, ose répondre, il se lance dans une réponse. A la question posée, il répond : « tu es le Christ » mais on sent que sa réponse le dépasse. Il ne la comprend pas tout à fait. Et de fait Pierre est aussi quelqu’un qui trébuche. C’est lui qui dira à Jésus à propos de son intention à aller à Jérusalem: « cela ne t’arrivera pas ». Tout va bien se passer. Oui mais, il reniera Jésus au moment de son arrestation, il le désavouera. Il ne connaît pas cet homme.
Paul, on le dit l’enfant terrible du christianisme. Pourquoi ? Enfant terrible, enfant inattendu, enfant dérangeant. A le lire, à l’entendre, on a l’impression que c’est lui qui engendre le christianisme, qui le met au monde comme une femme enceinte. C’est lui qui va casser la coque de la secte judéo-chrétienne. Il a l’intuition foncière que l’enjeu de ce qui est né de Jésus, ce n’est pas simplement une nouvelle religion ou une nouvelle branche du judaïsme. L’Évangile venant par Jésus, c’est l’Évangile de Dieu, c’est une bonne nouvelle pour tous, jusqu’au bout du monde. Il faut donc sortir de la Loi juive. Sa parole aux Galates est claire : « il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus l’homme libre et l’esclave, il n’y a plus l’homme et la femme ». Les différences ne sont pas supprimées mais elles ne peuvent créer des séparations, des hiérarchies. Paul comprend que l’Évangile est une force, une dynamique d’inclusion et un rejet des exclusions.
Mais nous sommes là aujourd’hui à nous poser cette question : quel est l’enjeu de tout cela pour nous qui venons bien après ? Il me semble que nous devons nous inscrire dans la double fidélité à Pierre et à Paul.
La fidélité à Pierre, ce serait la fidélité à Jésus de Nazareth. Cela veut dire une fidélité à son style qui est dans les rencontres, les conversations, l’Évangile se passe aux carrefours où les gens se croisent. Il a lieu sur les chemins, dans les maisons. Il a lieu dans la convivialité des invitations et des repas. Il est une proximité pour soigner et pour sortir de ce qui paralyse, ce qui aveugle, ce qui humilie. Il donne la parole à ceux qui sont sans voix. Je dirais qu’il nous faut garder, à la suite de Pierre, un côté palestinien qui est dans la simplicité de la vie, là où sont les gens simples. Là où s’invente des sursauts de vie, des résistances, des solidarités.
Avec Paul, il nous faut toujours comprendre que l’Évangile est l’Évangile de Dieu. Qu’il est pour tous. Le Dieu de tout le monde. Non pas une vision du monde particulière mais la parole du commencement, le Nouvel Adam, comme dit Paul. Pour cela, nous nous porterons sur les frontières, non pas celles des « défense d’entrer » et des barbelés mais ce qui fait passage, ce qui fait franchissement entre les humains. Paul est celui qui s’est rendu compte que le Christ abat les murs.
Il est aussi celui qui vient avec la parole de la croix. Le Messie est un crucifié, annonce-t-il. Etre chrétien, ce n’est pas avoir de belles idées, des idées généreuses sur la vie et l’entente entre les gens, des bons plans sur l’avenir du monde. Nous devons restés des étonnés : pourquoi l’Évangile suscite-t-il la violence ? Pourquoi Jésus a-t-il été mis à mort ? Pourquoi dire que le messie est un crucifié ? Comment faire pour que cela ne reste pas des banalités inoffensives ? Paul vient avec ces questions et en maintient la vigueur. Ne serait-ce pas parce que l’Évangile n’est pas affaire de mots mais vie engagée, de vie donnée. Nous n’avons pas à jouer au martyr, mais là où nous sommes, là où nous vivons reconnaître que la vie n’avance que parce qu’elle est donnée. Jésus a-t-il fait autre chose ?
Frère Hubert
Lectures : Ac 12, 1-11 ; 2 Tm 4, 6-8.17-18 ; Mt 16, 13-19