La divine liturgie nous invite à penser en ce jour à nos défunts et nous le faisons avec attention et bienveillance dans ce bel office au monastère de Wavreumont. Mais au moment de la mort d’un être cher, c’est une autre histoire. Souvent c’est un moment crucial qui peut être inattendu après un accident ou auquel on a eu le temps de se préparer, après une longue et pénible maladie par exemple. Mais à chaque fois, la nouvelle nous bouleverse. Le moment venu semble toujours arriver trop tôt, parfois aussi trop tard.
Des pensées nous passent alors par la tête : Est-ce que j’ai des regrets ? Est-ce que j’ai pu tout dire ? Est-ce que nous avons eu une relation bienveillante, joyeuse, heureuse (la plupart du temps) ?
Ce weekend un groupe d’entre nous a étudié la vie spirituelle de Maître Eckhart, théologien et mystique de la fin du moyen âge. Nous ne savons pas exactement comment il est mort, il y a des hypothèses. Son message concerne la conversion des âmes et la naissance de Dieu au fond de chacun.
Nos lectures parlent aussi d’encouragement sur la voie de la conversion.
D’abord l’Ecclésiaste 3:1-8 a un message universel d’acceptation et de compréhension. Ses versets poétiques et sa profonde sagesse apportent du réconfort dans les moments de tristesse, rappelant aux personnes endeuillées que les cycles de la vie sont naturels et ont un but car elles nous font ‘grandir’.
Ensuite le Psaume 3, 14 est un hymne de confiance envers Dieu, malgré les épreuves, ses versets expriment le désir de voir la ‘bonté’ divine, lumière et salut. Le psalmiste demande de voir la face de Dieu, de ne pas être caché, et de l’écouter dans sa détresse.
Enfin, l’Évangile parle de la vie éternelle pour celui qui croit. « Celui qui croit au fils aura la vie éternelle. » (Jean 3, 36) Est-ce qu’il nous incite à croire en Jésus Christ ou est-ce que je dois croire en la vie éternelle ? A vrai dire, croire en Jésus Christ veut aussi dire croire en la vie éternelle car notre foi se base sur la mort et la résurrection de Jésus à Pâques et nous commémorons ce moment chaque fois que nous célébrons la Cène.
Et si j’ai des doutes ? Si la douleur due à la perte d’un être cher est trop importante, au point de me faire perdre la foi ? Je me demande : Est-ce que je perdrai alors ma foi en Jésus et la vie éternelle ?
Maître Eckhart, ce mystique dont nous avons parlé avec le groupe, nous propose un chemin de deuil pas comme les autres. Le traité « La divine consolation » (ou « De l’homme noble ») est l’un des derniers écrits de Maître Eckhart qui s’inscrit dans une tradition consolatrice. L’œuvre traite de la recherche du « non-attachement » comme voie vers la paix intérieure et la ‘similitude’ avec Dieu, en s’insérant dans une spiritualité de l’Un : « le fond de Dieu est aussi mon fond et mon fond est aussi le fond de Dieu »[1], dit-il dans un de ses sermons.
Pour Eckhart, il faut abandonner tout attachement pour soulager nos souffrances afin de nous rapprocher de la volonté de Dieu. Mais vous allez me dire, sœur Julian, comment pouvons-nous, nous libérer de nos attachements ? Par la psychologie, nous savons combien pour le jeune enfant, le bébé, l’attachement à sa mère est primordial afin qu’il grandisse en sécurité et en confiance ?
Mais, plus tard, dans la vie, l’attachement peut être fondé sur des fausses croyances : croire que sans cette affaire (de lien d’amour maternel) on ne peut pas vivre ou sans cet objet-là, on ne peut pas être heureux,…
Pour Eckhart la même situation est vraie pour Dieu pour qui nous pouvons avoir aussi de fausses croyances. Dans son sermon sur la pauvreté[2], il demande même de se « défaire » de Dieu ; admettre de ne pas le connaître, nous ouvre des portes pour mieux se rapprocher de Lui et le rencontrer d’avantage, dans l’intimité de notre être. Pour cela, il faudrait enlever toutes nos fausses croyances et nos illusions (limitations) sur Dieu, sur le monde et sur les Autres. Dès le moment que nous réalisons que cet attachement est illusoire et erroné, nous devenons plus libres. Prendre conscience de cette situation peut nous prendre une minute comme toute une vie. C’est à nous d’y travailler et de vaincre nos limitations (illusions), de nous détacher de nos fausses croyances. Dieu ne peut qu’être notre guide, avec sa discrétion mais aussi son perpétuel amour pour sa Création.
Abandonnons-nous tous à Lui, en accordant toute notre confiance à sa Parole !
Amen.
[1] Sermon 5b.
[2] Sermon 52.
Sœur Julian
Lectures : Sagesse 3, 1 -.6.9 ; Ps 26 (27), 1, 4, 7-9 a, 13, 14 ; 1 Cor 15, 51-57 ; Jn 6, 37-40
