Dimanche dernier, parce que nous étions le 9 novembre, nous avons interrompu notre lecture de l’évangile de Luc et nous avons laissé Jean nous raconter que Jésus, à peine arrivé dans le Temple de Jérusalem, a tout renversé. L’évangile d’aujourd’hui ne se comprend bien qu’à la lumière de cet épisode. Le calendrier nous fait ainsi un cadeau en rapprochant les deux récits. Profitons-en bien, il y a trente-neuf ans que ce n’était plus arrivé. Vous me direz qu’il est toujours périlleux de sauter ainsi d’un évangile à l’autre. Il vaut mieux laisser chaque évangéliste nous rapporter les faits à sa manière, avec son propre angle de vue. Mais malheureusement, on ne lit jamais la version de Luc le dimanche et, quand on la lit en semaine, on la coupe en deux, de sorte qu’on n’est pas saisi par sa vivacité. Alors, je m’autorise à vous la rappeler.
Lorsque Jésus fut près de Jérusalem, voyant la ville, il pleura sur elle, en disant : « Ah ! si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix ! Mais maintenant cela est resté caché à tes yeux. Oui, viendront pour toi des jours où tes ennemis construiront des ouvrages de siège contre toi, t’encercleront et te presseront de tous côtés ; ils t’anéantiront, toi et tes enfants qui sont chez toi, et ils ne laisseront pas chez toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le moment où Dieu te visitait. » Entré dans le Temple, Jésus se mit à en expulser les vendeurs (Lc 19,41-45). Si les choses se sont passées aussi vite sur le terrain que dans le texte, les auditeurs de Jésus ont bien dû sentir qu’il traduisait en actes les paroles qu’il venait de prononcer, qu’il anticipait l’intrusion de l’armée romaine, qu’il mettait en scène la destruction du Temple.
Alors, quelques jours plus tard, quand ses disciples lui font remarquer la beauté des pierres, la splendeur de l’édifice, il a envie de leur dire : « Vous avez la mémoire courte. Je viens de vous annoncer que tout sera détruit. Je l’ai mis sous vos yeux, je l’ai mimé. Vous ne comprenez pas ? Oh ! bien sûr, vous avez raison. Elles sont belles, ces pierres, et bien taillées. Hérode le Grand y a mis le prix. Quand il a exposé son projet aux Juifs, quand il leur a dit qu’il allait agrandir le Temple et en faire une construction splendide, ils ont dit que cela coûterait trop cher, mais il a sorti sa bourse et il a mis tout l’argent sur la table. Alors, les Juifs ont objecté qu’il faut être lévite pour bâtir le Temple de Dieu. Hérode a balayé cela en prenant sur lui de former des lévites pour les transformer en tailleurs de pierre et en maçons. Et les Juifs se sont laissé entraîner dans ce projet pharaonique. Mais moi, je vous dis que ces belles pierres crient vengeance au Ciel. Par cette succession de parvis séparés par des escaliers, vous êtes en train d’inscrire dans la pierre qu’un prêtre est mieux qu’un laïc, qu’un homme est mieux qu’une femme et qu’un Juif est mieux qu’un païen. Vous avez même placé à l’entrée du second parvis cette inscription : « Qu’aucun étranger ne franchisse la balustrade et ne pénètre dans l’enceinte du temple ; quiconque sera pris en infraction sera lui-même responsable de la mise à mort qui s’ensuivra. » Vous osez faire ça, alors que mon Père avait annoncé par la bouche d’Isaïe : « Ma Maison sera une maison de prière pour toutes les nations. » Vous faites fausse route, vous allez y perdre votre âme. Détruisez ce Temple ! »
Je n’invente rien. On lit tous ces détails dans les écrits de l’historien juif Flavius-Josèphe et on a retrouvé un fragment de l’écriteau. Si on le garde à l’esprit, l’évangile de ce jour en reçoit d’autres couleurs. Il reste à dire que tout le monde ne ressent pas la destruction du Temple de la même façon. J’imagine que si des Juifs m’entendaient, beaucoup ne seraient pas d’accord. Pour eux, l’anéantissement du Temple reste une catastrophe et ce n’est pas pour rien qu’on appelle son dernier vestige le mur des Lamentations. Mais je salue le fait que les Juifs ont eu le bon goût et la sagesse de ne jamais reconstruire ce Temple, indigne d’eux.
Frère François
Lectures : Ml 3, 19-20a ; 2 Th 3, 7-12 ; Lc 21, 5-19
