Comment l’Église s’est-elle construite ? C’est en effet toute une histoire que révèlent aussi bien une basilique qu’une modeste église de village. Cette longue histoire nous ramène au passé, mais pas seulement.
L’Église s’est construite au long du temps parce que des croyants ont pris conscience qu’il n’était pas question de laisser le monde se déshumaniser. C’est ce qui se passe quand aujourd’hui des américains se lèvent pour manifester contre les dérives d’un président incontrôlable. Ils se lèvent pour résister, pour objecter contre la dérive vers la déshumanisation. Il me semble que l’Évangile n’est pas la possession tranquille, irénique et sereine d’un corpus de vérités. Il est une résistance, une objection comme on le constate déjà dans le passage évangélique qui nous est confié ce matin. Jésus proteste parce qu’il trouve dans le Temple une dérive vers un lieu mercantile. Sans doute la nécessité des sacrifices, la nécessité de trouver de quoi changer la monnaie appelait l’implantation de marchands et de changeurs, mais Jésus a pris conscience qu’une dérive s’est ainsi mise en place : une maison de prière doit-elle devenir une maison de commerce ? Et par-delà cette configuration commerciale, Jésus met fondamentalement en doute une religion fondée sur une mentalité marchande. La relation avec Dieu doit-elle se défigurer dans le donnant-donnant ? Est-ce qu’on ne transpose pas alors jusqu’à Dieu une mentalité marchande qui peut parasiter toutes nos relations ?
Comment l’Église s’est-elle construite ? Après s’être réunis dans leurs maisons, les chrétiens ont été heureux de se donner des lieux plus vastes de célébration. Le nombre des fidèles l’imposait. Mais sans doute les chrétiens d’aujourd’hui ne devraient pas oublier le germe, le commencement déposé par Jésus. « Faites ceci en mémoire de moi », leur a-t-il dit. Il s’agit de prolonger, de refaire à sa suite ce qu’il a fait : inventer avec l’Évangile de Dieu, avec l’Esprit saint, un monde humanisé, plus humain. Pour cela, non pas donner la priorité aux bâtiments, aux choses extérieures, mais toujours se ressaisir comme maison que Dieu construit. Ce n’est pas un parti politique avec ses slogans, ses projets, mais ce qui a pour pierre de fondation le Christ Jésus.
« Et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent ». C’est un prophète qui redit ces choses jusqu’à nous. « Les fruits seront une nourriture, et les feuilles un remède ». Dans nos lieux d’Église, c’est ce langage prophétique qu’il faut faire passer entre nous et traduire en actes. Ce langage prophétique, des hommes et des femmes avant nous l’ont porté jusqu’à nous. Qu’allons-nous en faire ? En partant du monde où nous sommes, résister à ce qui le défait mais aussi bien soutenir ses possibilités de vie. Donc, ne pas déserter notre présent, mais ouvrir de l’avenir avec Dieu et son Christ.
Frère Hubert
Lectures : Ez 47, 1-2.8-9.12 ; 1 Co 3, 9b-11.16-17 ; Jn 2, 13-22
