Vous l’avez peut-être entendu dire : nous avons un nouveau pape. C’est un disciple de saint Augustin. Dès lors, comme de juste, lors de sa première intervention en public, il s’est rappelé ce que saint Augustin disait à ses auditeurs : « Pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien. » Je crois que Léon XIV a inversé les deux propositions, mais c’est sans importance. Or, les chrétiens, du moins ceux de son Église, vont à la messe le dimanche. Et normalement, ils entendent tous la lecture des mêmes textes bibliques. On peut donc supposer que le pape, puisqu’il est chrétien, les entend lui aussi aujourd’hui. J’imagine qu’il doit se dire, trois jours après son élection : « Ça tombe bien ! »
Le quatrième dimanche de Pâques est le dimanche du bon Pasteur. Chaque année, en ce dimanche, nous entendons l’un ou l’autre extrait du chapitre 10 de l’évangile selon saint Jean, où Jésus se définit comme le bon Pasteur, qui prend soin de ses brebis, les connaît, les appelle par leur nom, les conduit dans de verts pâturages. L’image nous est familière. Un bon nombre d’entre nous doivent se souvenir de tableaux représentant Jésus au milieu de son troupeau, accrochés au mur de la belle pièce de la maison ou même d’une chambre d’hôpital. Image paisible, rassurante.
Mais comme toutes les images, elle n’est qu’une image. Et il faut se garder de l’absolutiser. Les images disent d’ordinaire quelque chose de vrai, mais pas toute la réalité. Isolée, l’image du bon Pasteur risque de nous égarer. Car le pasteur peut être très proche de ses brebis, mais il n’est pas un mouton parmi d’autres. Les brebis le suivent. On traduirait plus exactement : elles l’accompagnent. Elles ne se contentent pas de suivre comme des moutons, elles vont avec le pasteur. Mais elles ne sont pas de la race du berger.
Cette différence radicale entre le pasteur et son troupeau est soulignée par la fin de notre évangile : « Le Père et moi, nous sommes un. » Dans le premier Testament, par la bouche d’Ézéchiel, c’est Dieu lui-même qui se proclame berger de son troupeau. En reprenant l’affirmation à son compte, Jésus laisse entendre qu’il ne fait qu’un avec le Tout Autre. C’est la foi de l’Église : Jésus est Dieu. C’est aussi ce que je crois, rassurez-vous, je ne vais pas le remettre en cause.
Mais ce n’est pas le tout de notre foi. Nous croyons aussi que Dieu s’est fait homme. Que Jésus est en tout pareil à nous. Vrai Dieu et vrai homme. Indissociablement. De sorte que, même s’il n’a pas eu, comme le pape, l’occasion de lire saint Augustin, il pourrait dire : « Pour vous je suis pasteur, avec vous je suis agneau. » Bien avant que Jésus ne se décrive lui-même sous les traits du pasteur, Jean-Baptiste l’avait montré en disant : « Voici l’Agneau de Dieu. » C’est sous ce titre que nous l’invoquerons tout à l’heure, pendant la fraction du pain. C’est ainsi que le prêtre va nous le désigner avant la communion. La réforme liturgique de Vatican II a eu la bonne inspiration d’ajouter à la phrase du Baptiste la béatitude de l’Apocalypse : « Heureux les invités aux noces de l’Agneau. » La première traduction française avait cru bon de simplifier la formule : « Heureux les invités au repas du Seigneur. » C’était l’appauvrir. La refonte récente du missel a préféré, à bon droit, rétablir le texte de l’Écriture : « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! » Si nous sommes des brebis, le Christ est notre agneau.
L’image de l’agneau ne supprime pas celle du berger. Mais elle la complète utilement. Et les deux images, superposées, réalisent la promesse de l’Apocalypse : « L’Agneau sera leur pasteur. »
Frère François
Lectures : Ac 13, 14.43-52 ; Ap 7, 9.14b-17 ; Jn 10, 27-30