À propos de la prière, n’est-on pas toujours des balbutiants ? On se demande toujours : qu’est-ce que prier, comment prier ? On s’interroge : n’est-on pas, comme Abraham, en train de marchander avec Dieu pour en tirer quelque chose ? Mais, après tout, est-ce qu’Abraham marchande avec Dieu ou bien, pris à la gorge par le mal et la violence dont il est témoin dans la ville de Sodome, cherche-t-il à en sortir, à desserrer l’étau du mal ? Peut-être faut-il toujours recommencer par-là : nous sommes toujours des disciples dans l’apprentissage de l’Évangile, nous sommes toujours des disciples qui doivent apprendre à prier. Saint Paul nous avertit : « nous ne savons pas prier comme il faut ». Acceptons de toujours commencer, d’être des gens du commencement. Prier, c’est toujours se porter dans le commencement, là où ça commence, ça recommence, là où il y a de la naissance, là où il y a de la création. Prier, c’est toujours se retrouver comme un peintre avec ses couleurs, comme un écrivain devant sa page blanche, une danseuse à la recherche de son mouvement. Bien décidés l’un comme l’autre à ne pas renoncer et à se lancer.
Je remarque aussi que prier c’est faire de la place à Dieu alors qu’une certaine culture pousse à le mettre dehors. Pourquoi prier, pourquoi encore le faire puisque la marche du monde, l’avenir de la vie dépendent de nous, de notre savoir-faire, nos prises de conscience, nos compétences ? Mais voilà, je crois que pour prier, il faut avoir fait l’expérience du mal et de la violence. C’est ce qui se passe chez Abraham. Il prend conscience que le mal est en excès, qu’il déborde, qu’il est démesuré, il fait lever une grande clameur. Il y a beaucoup de fautes dans le monde. Et donc le mal met la vie en question. Devant le mal, on se rend compte que la vie n’est pas seulement une série de problèmes à résoudre, mais qu’elle est fêlée. Le mal rend la vie non seulement problématique, mais énigmatique. Et même plus, le mal met la vie en échec. C’est une expérience qui est à la base de la prière.
Et c’est pourquoi il y a toujours des formules de prière dans toutes les religions. Nous ne savons pas prier comme il faut et c’est pourquoi Jésus nous donne des mots pour prier : le Père. Ce ne sont pas des mots passe-partout, ce ne sont pas des formules magiques, mais comme les bandes blanches du passage pour piétons, pour passer au-delà, des bandes blanches pour les piétons que nous sommes.
On voit aussi dans l’évangile de ce jour que Jésus accompagne les mots du Notre Père par une parabole ; il raconte une parabole. Serait-ce pour nous dire que prier, c’est entrer dans une parabole, une histoire où il s’agit d’oser demander, oser insister, frapper pour qu’on nous ouvre ? En priant, on entre dans une parabole : on vient avec ses mots, avec ses émotions, avec ses images et l’on se livre à la confiance, on se livre à la croissance divine. Les paraboles ne sont-elles pas le plus souvent des histoires de croissance ? Croissance, durer dans la nuit, croissance pour du pain. Prier, c’est demander. La vie n’est-elle pas toujours une demande qui n’en finit pas ?
J’aime les mots de Jésus parce qu’ils sont forts, comme s’ils devaient nous percuter, percuter notre incrédulité, nous faire lever la nuit… C’est un serpent au lieu d’un poisson, c’est un scorpion au lieu d’un œuf. Ce qui importe de la mort au lieu de ce qui fait vivre. C’est clair, l’enjeu de la prière en nous, c’est la vie reçue, à recevoir, plutôt que le mal.
Avec Dieu que nous prions, nous faisons entrer un tiers. Dieu est un tiers écoutant et c’est justement ce qui fait que nous nous tournons vers lui. Il n’est pas un partenaire à l’horizon de nos conversations et de nos relations, il n’est pas du monde, il ne relève pas du monde, de son mal et de ses violences et c’est pourquoi nous le prions.
Jésus nous dit : « Combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent ». Ce sont les mots de Jésus nous désignant ce qu’il faut demander par-dessus tout. Nous nous tournons vers Dieu parce que Dieu est promesse, une promesse ouverte, ce qui se donne comme une issue, une sortie. Que serait une vie sans promesse, un monde sans promesse ?
Frère Hubert
Lectures : Gn 18, 20-32 ; Col 2, 12-14 ; Lc 11, 1-13
