Nous sommes sous le choc. Deux jours après les attentats qui ont frappé notre pays, nous sommes devant l’innommable, devant la douleur sans borne des personnes qui ont perdu un être cher, voire une simple connaissance, devant la menace absurde que font peser sur nous des gens qui n’ont rien compris – sans doute rien voulu comprendre – ni à la religion dont ils prétendent se réclamer ni à celle qu’ils croient combattre, pas plus qu’aux valeurs qu’ils méprisent. Devant tant de souffrance, nous pouvons nous demander si ce que nous faisons cette semaine a vraiment du sens. Quelle est le poids des gestes et des paroles tant de fois reproduits ? Notre monde a-t-il vraiment besoin de ces rites ? Ou d’autres engagements ?

Il me semble que l’évangile de ce Jeudi saint donne une réponse à ces questions. Mais on ne le perçoit pas bien, parce que nous avons coupé la parole à Jésus deux lignes trop tôt. Si vous voulez connaître la suite, revenez dans quatre semaines, le 21 avril, à huit heures du matin : nous reprendrons l’évangile où nous l’avons quitté ce soir. Jésus vient de nous dire : « Si moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » D’accord, Seigneur, mais dans quel but ? Simplement pour nous rappeler qu’un serviteur n’est pas plus grand que son maître ? Non, répond Jésus dans le verset que nous n’avons pas lu, mais parce que, sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites.

Voilà l’intention. L’évangile ne veut pas être un code de bonne conduite et Jésus ne se présente pas comme un modèle à imiter. L’évangile est un chemin de bonheur, il nous est donné pour notre joie. Jésus, bien qu’il soit le Seigneur et le Maître, se met à genoux devant ses disciples, dans la position du dernier des esclaves, parce qu’il y trouve sa joie et parce qu’il veut les conduire à la même joie.

Or, l’heure est grave. Comme l’évangile vient de nous le rappeler solennellement, Jésus est tout à fait conscient de ce qui se trame. Il sait que son heure a sonné. Il sait qu’un de ses convives a l’intention de le livrer. Il sait que ses minutes sont comptées. Il n’a pas de temps à perdre à des futilités. Et ce qui le préoccupe à ce moment suprême, c’est notre bonheur : sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites.

Il me semble qu’il y a quelque chose de comparable dans les réactions de notre peuple après les attentats d’avant-hier comme après ceux de Paris, réactions qui véhiculent toujours à peu près le même message : vous ne nous ôterez pas notre bonheur.

Demain, nous contemplerons la souffrance de Dieu, qui épouse la nôtre. Mais ce soir, il nous montre où il trouve sa joie. À nos pieds. Dans quelques instants, frère Renaud, parce que nous lui avons demandé d’être notre prieur, va laver les pieds de douze personnes. Il faudrait que nous puissions voir dans son attitude la joie de Dieu. La joie du Dieu qui sait qu’il va mourir dans des conditions atroces, mais qui a mieux à penser pour l’instant. Regardons la joie de Dieu, en songeant aux mots de Georges Bernanos : où la douceur et la patience ne peuvent rien, la joie suffit, la joie de Dieu, dont nous sommes avares. Oui, qui la reçoit est trop tenté de la garder, d’en épuiser les consolations, alors qu’elle devrait rayonner de lui à mesure. (…) Il faudrait n’être qu’un cristal, une eau pure. Il faudrait qu’on vît Dieu à travers.

Fr. François Dehotte