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En cette nuit de Noël, frères et sœurs, le Christ nous invite à descendre à la crèche, celle qui est cachée au fond de notre cœur. Pour y arriver, il faut d’abord franchir la porte de nos soucis, de nos envies et de nos inquiétudes.
Et c’est déjà bien de pouvoir laisser derrière soi, ne fut-ce que pour un moment, tout ce petit monde qui s’agite et fourmille en notre esprit.

Mais un second seuil nous attend: ce lieu de notre culpabilité qui nous mine ou de nos illusions de perfection qui nous tendent, en un mot tout ce qui nous préoccupe encore de nous-même. Cela aussi doit être dépassé pour arriver devant l’enfant, l’innocence de Dieu et le bonheur d’exister. La Présence !

Au cœur de notre monde si dur et sans pitié, il convient d’avoir les « yeux ailés » pour retrouver la simplicité de Dieu; ou comme le suggérait le prophète Isaïe: au milieu des bruits de botte des soldats, de la menace du joug, du bâton et du fouet percevoir en cet enfant la venue et le désir de la Paix, du droit et de la justice.

Pour aller plus loin, pour descendre encore plus bas, aux pieds de sa petitesse, arrêtons-nous et faisons taire le tourbillon de nos idoles, laissons nos rêves brisés et relevons-nous encore et encore, après chaque chute, parce qu’Il est notre espérance, celle qui ne trompe pas, celle qui nous transforme dans une lenteur de mûrissement.

De ce tout petit tendant les bras au ciel, je dois écouter la respiration et les battements de cœur pour y reconnaître ma propre chair et mon humanité. Quand on laisse trop souvent Dieu au bord du chemin avec les égarés de la terre, on s’aperçoit, perdu, que la vie humaine ne vaut plus grand-chose. C’est en le contemplant que nous retrouverons le poids de la gloire divine et le prix de chaque existence.
Es-tu encore dans le noir ? Plonge tes yeux dans son regard neuf et tu verras le monde nouveau qui est en train d’éclore.

Frère Renaud Thon

Lectures de la messe :
Is 9, 1-6
Ps 95
Lc 2, 1-14

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Lectures de la veillée

Les yeux ailés
Jean-Marie Kerwich
extrait de :
L’évangile du Gitan
Mercure de France
2008

Il était tard. J’étais contre le portail du bâtiment où je travaille comme gardien. Comme à l’accoutumée j’étais prisonnier de mon angoisse. Soudain un camion vient stationner sur le parvis et un homme corpulent en descendit pour me demander de lui donner des palettes de bois. Cet homme était un gitan. Je vis qu’il avait compris que j’étais de son sang, malgré mon uniforme. Pendant qu’il inspectait les palettes, je vis à l’intérieur de la cabine du camion ma mère et moi, assis sur ses genoux. Je devais avoir trois ou quatre ans. Mon regard était interrogatif sur la vie qui me fermait les bras. Ma mère regardait la nuit de décembre d’un air soumis et impuissant. Ses bras entouraient mon petit corps. La nuit est une femme généreuse : comme une sainte elle enlaçait à son tour ma mère pour lui donner du courage. Moi, l’enfant, j’avais les yeux ailés : je survolais les lumières multicolores qui annonçaient Noël. Quad on a quatre ans, on ne sait même pas qu’on vit. On est pareil aux flocons de neige qui ont vu le visage de Dieu et qui fondent en larmes sur le monde impitoyable des hommes. Adossé contre le portail, j’étais fasciné de me voir dans les bras de ma mère. L’enfant du vieux camion me regardait en tremblant sans savoir que j’étais lui. D’un geste soudain, l’homme est brutalement entré dans son camion, cet homme puissant qui ne saurait jamais que j’étais son fils, et le camion a démarré. Moi et l’enfant nous avons échangé un dernier regard. Ma mère, elle, a à peine tourné vers moi ses yeux brisés. Je pense qu’ils ont maintenant rejoint leur caravane, cette odeur de pauvreté qui ne me quittera jamais.

Fraterniser dans le concret
Isabelle Eliat-Serck
extrait de :
De mosquées en églises
Éditions jésuites
2016

Le monde a soif d’écoute, de reconnaissance, de lien humain concret et d’accueil bien plus que de grandes mesures, de manifestations et de débats qui le divisent souvent davantage en confortant chacun dans sa position.

Quand on fraternise physiquement au-delà des barrières confessionnelles qui sont souvent aussi culturelles et sociales, on ne peut plus oublier que l’humanité nous relie tellement plus que tout ce qui nous divise.

Fraterniser dans le concret, j’entends bien plus que de faire des réunions, des activités, débats ou discussions, bien plus aussi que donner de l’aide ou écouter sans quitter la position confortable de celui ait et qui n’attend rien en retour.

Se faire petit, avoir besoin de l’autre, apprendre de lui, le reconnaître pour ce qu’il est plutôt que vouloir l’ « intégrer » en le faisant entrer dans un moule trop étroit.

Notre cœur (et notre conscience) ne fait qu’un avec Dieu, mais lorsque nous nous en éloignons, il devient pour nous un étranger, si bien qu’au lieu de voir notre cœur en l’autre, nous voyons l’étranger.

Je crois que Jésus, aujourd’hui – que nous soyons parmi des chrétiens ou parmi des musulmans – veut nous dire quelque chose comme : « Fais les prières, écoute les prêches, fais l’aumône, applique les lois et les commandements de ton Dieu. Mais, si ces préceptes t’empêchent d’honorer dignement ton épouse et tes enfants, ton hôte, ton prochain, ton travail et ton propre cœur, alors, choisis plutôt de donner là ton amour et ta présence concrète. Ce sera ta prière.

Tout comme, si cela te rend indisponible à l’imprévu des anges qui frappent à la porte de ta vie, alors, choisis donc la vie plutôt que les idées, règles, célébrations et dévotions, car le paradis, même s’il est parfaitement réglé, n’est que Vie ».

Âmes d’enfants
Rabbin Pauline Bebe
extrait de :
Le temps d’un nuage
Actes Sud
2016

Qu’est-ce qu’un enfant ? La Torah, en nous appelant les benei israel, « enfants d’Israël », nous dit que la plus belle part de nous-mêmes est ce regard, ce cœur et cette âme d’enfant que nous nous efforçons bien trop souvent de faire taire sous un vernis d’âge adulte. Car en chacun de nous se cache ce petit être, dont le regard s’émerveille et s’arrête pour observer une fourmi, un brin d’herbe, un scarabée, lorsque, accroupi, il oublie tout comme si le monde disparaissait dans cet instant qui embrasse l’éternité. Son cœur rit aux éclats d’un presque rien, d’une incongruité qu’il rencontre au détour d’un chemin, son âme pleure de la moindre injustice. Elle se froisse au gré des vents violents sans bouclier, sans carapace, ou à l’inverse se déploie dans la brise des mots doux murmurés à son oreille.

Les enfants, banim, sont aussi par un jeu de mots en hébreu bonim, des bâtisseurs, des petits être qui n’ont pas perdu leurs illusions, qui sont prêts à tout donner quand on leur ouvre les bras, le cœur, qui veulent conquérir le monde sans jamais s’oublier. Leurs rêves les rendent puissants, et lorsqu’ils partent à la découverte du monde, dans ce formidable redressement qui leur permet de tenir debout, ils questionnent sans fin, s’étonnent et tâtonnent, tombent et se relèvent et font de chaque pas une aventure. Ils apprennent de leur faux pas, mais dans leur course effrénée vers de multiples terres promises rien ne les arrête.

Et en même temps ils sont fragiles, et si leurs rêves sont brimés, et si les adultes pensent toujours savoir mieux qu’eux, alors ils se construisent de guingois, cherchant à pousser entre les murs de la certitude. Ils se frayent un chemin entre l’étroitesse des affirmations tonitruantes de ceux qui utilisent leur savoir comme des ornières au lieu de se remettre perpétuellement en question.

Élever un enfant est la tâche la plus difficile et la plus exigeante de toutes celles qui nous sont confiées. La vie est le cadeau le plus précieux ; lorsque entre nos mains tremblantes nous tenons ces nouveau-nés, nous faisons l’expérience du merveilleux et c‘est comme si Dieu nous demandait comme à Adam au jardin d’Éden, « Ayeka ? » (Gn 3, 9), où es-tu ? Où es-tu face à ce petit être qui ouvre grand ses yeux pour plonger dans les tiens comme dans une mer profonde et transparente où il n’ya que confiance et espoir, om es-tu face à cette respiration qui répond à la tienne comme un dialogue d’âme à âme, mélodie douce du je et du tu, où es-tu face à ces mains qui s’agrippent à tes doigts tels des oiseaux au fil de leur vie ? Qu’allons-nous apprendre à ces boules de coton qui déjà nous apportent la chaleur de leur amour, et surtout qu’allons-nous apprendre d’eux ? Allons-nous nous laisser transformer par leurs questions, leurs vies, leurs exigences ? Un être humain naît petit mais il n’est pas de la glaise que l’on transforme au gré de nos envies, il n’est pas une sculpture qui doit se plier à nos rêves et à nos ambitions, il a ses propres rêves et tandis que nous l’élevons, il nous élève.

© 2016 - Monastère Saint-Remacle de Wavreumont

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