Ne nous arrive-t-il pas d’ignorer le pauvre assis sur le trottoir, de dire non à une demande d’aide, d’aller au restaurant ou de prendre l’avion pour des vacances, quand pas très loin de chez nous des populations souffrent le martyre, en des lieux où les avions sont semeurs de mort plutôt que de loisirs.
Oui, les textes de ce dimanche peuvent facilement nous culpabiliser, et c’est parfois utile d’interroger son comportement à l’aide de points de repères un peu « chocs ».
Mais ces textes peuvent aussi être très clivant : d’une part le mauvais riche qui aura sa punition après la mort et d’autre part le bon pauvre consolé par Abraham après la mort lui aussi. La réalité nous apprend qu’il y a des pauvres féroces avec les autres et remplis de convoitises et des riches généreux, car peu attachés à leurs biens.
Remarquons d’abord que seul le pauvre est nommé. Il porte le nom de Lazare qui veut dire « Dieu vient en aide ».
Qui dit nom, dit quelqu’un pour le prononcer, pour vous appeler. La chose vraiment importante dans la vie ne serait-elle pas la grâce de forger une alliance avec Dieu : d’être connu de lui, d’être appelé par lui, de pouvoir l’écouter et de pouvoir lui parler. C’est la vraie richesse de l’existence que nous soyons dans la précarité ou dans l’aisance. Ces deux situations ne sont d’ailleurs pas données définitivement, elles alternent au cours de nos vies au niveau matériel, affectif, professionnel, … et représentent ce que les Pères du désert appellent des peirasmoi, des mises à l’épreuve afin de révéler notre nature cachée et le point où nous en sommes dans notre chemin de purification. En slavon, tenter signifie rechercher une réalité plus profonde, afin de découvrir ce qui se trouve en elle ; on va ainsi parler de « tenter les Ecritures ». Dans l’épreuve, l’homme va apprendre à se connaître et ainsi à trouver une orientation dans sa vie. L’épreuve même du riche aux enfers dans son dialogue avec Abraham lui fait découvrir et entendre cette orientation fondamentale : l’écoute. « Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! »
Même la résurrection de Jésus n’aura d’effet sur ceux qui n’écoutent pas en eux-mêmes cette intuition profonde que Dieu est présent et qu’il nous vient en aide et le témoignage qu’en donnent les Ecritures.
Pour cela, il ne faut pas laisser mourir de faim, la part prophétique de nous-même. L’homme riche est vêtu de pourpre, signe du pouvoir royal, de notre capacité d’action dans la vie ; il porte aussi du lin fin, allusion au sacerdoce, capacité que nous avons à mettre nos comportements en ordre à suivre des règles et des préceptes pour une vie sociale éthique et satisfaisante. Nous mettons la priorité sur ces deux aspects, mais notre part spirituelle où Dieu vient nous parler, nous inspirer nous l’oublions souvent à la périphérie de notre vie.
Bref, ce texte d’évangile résonne bien avec la sensibilité de Luc, notamment en ses béatitudes : « Mais malheureux, vous les riches : vous tenez votre consolation. Malheureux vous qui êtes repus maintenant, vous aurez faim. » Radicalité de l’évangile. Mais ce texte nous présente aussi deux ouvertures : le portail et l’abîme. Et le psaume 1 nous dit que le juste réussira tout ce qu’il entreprendra ; comprenez : trouvera une issue, un passage, une pâque et non un gouffre sans fond. Dans nos situations de vie, que nous soyons riches ou pauvres, nous sommes donc invités à ouvrir des portes plutôt qu’à creuser des fossés qui peuvent devenir infranchissables.
Pour cela, accueillons d’abord le Ressuscité en cette eucharistie pour qui Dieu a roulé la pierre du tombeau et nous a ouvert un chemin par- delà ce que nous percevions comme infranchissable.
Frère Renaud
Lectures : Am 6, 1a.4-7 ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31