Après la Pentecôte, il y aura la fête de la Trinité. Personne ne sera oublié. En ménageant des arrêts successifs, la liturgie de l’Église nous invite à méditer et à réfléchir sur les divers visages de notre Dieu, du Dieu de tout le monde. Aujourd’hui, c’est l’Esprit saint de Dieu qui nous est spécialement découvert. C’est l’Esprit que Jésus a donné à ses disciples, qu’il a soufflé sur eux pour les inspirer.
À sa manière, l’Esprit saint vient révéler un Dieu décoïncidant, pour reprendre une expression du philosophe François Jullien. Un Dieu qui dé-colle des images où nous risquons de l’enfermer, de le fixer, faire de Dieu un être statique. Au contraire, la liturgie ne cesse de nous révéler un Dieu à plusieurs visages. C’est un Dieu pluriel.
Il n’est pas que Père ou Mère, il est Fils. Il n’est pas que Fils puisqu’on l’appelle aussi l’Esprit saint. Tout ceci pourrait passer pour des subtilités théologiques, des spéculations dogmatiques, mais l’Esprit saint nous renvoie vers un Dieu encore autre, vers l’ailleurs de Dieu.
Avant d’en venir à une perspective spirituelle, je me suis demandé ce que serait un monde, une vie dont le but serait de faire le plein : un monde plein de choses, d’objets, plein de mots. Ce serait un monde encombré, il n’y aurait plus de place. Ce serait un monde qui voudrait avoir réponse à tout. Plein d’explications. Un monde où il n’y aurait plus rien à dire. A partir de là, je dirais ceci. L’Esprit, c’est le Dieu qui se tourne vers nous et nous demande : de quel esprit vivez-vous ? Quel esprit habite votre âme, votre cœur, votre monde ? Avez-vous de la place pour cela ? Ce n’est sans doute pas pour rien que l’Esprit saint est associé au vent et au feu ; il fait de la place…
Ce n’est pas rien, et cela m’amène à une deuxième réflexion. Il faut redire que l’intelligence n’est pas l’esprit. On peut parler de l’intelligence artificielle parce que des ordinateurs peuvent calculer mieux que nous ne pouvons le faire, non seulement plus vite, mais mieux en rassemblant des données qu’une intelligence humaine est dans l’incapacité de maîtriser. Ce sont des performances indéniables, mais l’esprit est autre chose ; il est ce qui nous habite pour faire de nous des humains, nous donner une âme humaine ou bien aussi nous faire dévier vers l’inhumain.
Et alors un Dieu Esprit, pour quoi faire demandera-t-on ? N’est-ce pas vague, informe, nébuleux ?
Si j’en crois la Bible, le Dieu Esprit c’est celui qui détache des idoles, qui appelle constamment à se séparer de ce qui raplatit la vie dans la matérialité, les choses, les objets et la remet dans l’esclavage, la dépendance. Il faut dire aussi que l’Esprit est un Esprit de sainteté, qui porte plus avant l’humanisation. Les événements qui sont mis sous nos yeux et qui montrent à l’œuvre la domination, l’accaparement et l’exclusion, nous font bien percevoir que l’avenir du monde ne va pas par là. Il nous faut nous y prendre autrement. Résister. Jésus par l’eucharistie, par le lavement des pieds introduit des symboles pour dire un autre monde.
« Je suis venu apporter le feu sur la terre », dit-il. Quelle passion nous habite, quelle passion nous mobilise ?
Je suis venu avec une autre langue, dit-il. Pas celle qui s’impose comme unique, celle qui défait, qui ment, qui fait la guerre à l’autre, mais celle qui réunit, rassemble. Le miracle des langues à la Pentecôte, ce n’est pas que les gens se mettent à parler des langues qui leur sont étrangères. Ne serait-ce pas qu’ils se comprennent avec leurs mots, avec leurs gestes, avec la langue des signes ? Mais pour cela, il faut que l’Esprit saint de Dieu soit de la partie… Qu’il ait sa place.
J’aime aussi que l’Esprit saint soit souffle, qu’il passe à travers les murs et les portes fermées, qu’il inspire. Nous avons connu la chute du mur de Berlin, nous avons connu l’effondrement de l’Union soviétique et son univers totalitaire. Nous ne l’attendions pas. L’Esprit n’est-il pas présent à l’Histoire ?
J’aime encore que l’Esprit de Dieu soit symbolisé par une colombe, une colombe pour dire la paix. C’est bien pourquoi aujourd’hui nous prendrons le temps de lâcher des ballons, les envoyer ailleurs pour redire notre désir de la paix.
Frère Hubert
Lectures : Ac 2, 1-11 ; Rm 8, 8-17 ; Jn 14, 15-16.23b-26