12102025

Dans la première lecture et l’Evangile, il s’agit de guérison et de reconnaissance. Le mal dont il est question est la lèpre. Il semblerait que la Bible accorde une signification spirituelle aux maladies. La lèpre serait la figure de l’inaptitude de faire un avec Dieu, à cause de l’impureté qui lui est liée, et qu’elle serait le signe d’une maladie de la relation. Sa guérison en serait la restauration, peut-être même la chance d’une relation nouvelle.

Cela est vrai pour le général syrien Naaman, sorti purifié des eaux du Jourdain, qui se présente au prophète plein de reconnaissance pour le Dieu d’Israël avec qui il entre en relation.  Cet élan de gratitude est source d’une vie inattendue qui le rend profondément heureux.

Qu’en est-il de l’Evangile ?
1/La progression des verbes utilisés par Luc  est éclairante.
« En cours de route, ils furent purifiés », dit Jésus en parlant des 10 lépreux allés à sa rencontre.  Purifiés  c’est-à-dire délestés de leurs plaies, leur peau  redevenant intacte, nette, pure. L’apparence à nouveau normale leur rend leur dignité d’homme.

« L’un d’eux voyant qu’il était guéri revint sur ses pas ». Guéri : ce verbe va plus loin. On peut ne plus avoir les symptômes de la maladie, sans en être véritablement guéri. Ici le lépreux réalise que le mal l’a quitté à la racine et il se jette la face contre terre  en rendant grâce à Jésus et, par lui, à Dieu. Il s’inscrit dans une relation de gratitude. Il se reçoit, guéri, de Dieu.

« Ta foi t’a sauvé. » Sauvé : ici l’on dépasse le stade de la guérison physique,
on accède à un autre ordre, intérieur, spirituel. Jésus ne dit pas de quoi le lépreux est sauvé. Il est sauvé. Pour Adolphe GESCHE°,  on peut être sauvé d’un naufrage, de la faim, de la guerre,  mais on peut être sauvé – sans complément-, sauvé  dans le sens d’un accomplissement, d’une vie appelée à se déployer en  plénitude.

Quelle bonne nouvelle alors pour notre lépreux ! La gratitude envers celui qui l’a guéri lui ouvre le chemin d’une relation, source d’une vie autre, inédite.  Les verbes qui précèdent, dits par Jésus, sont sans ambiguïté, ils relèvent du vocabulaire de la résurrection, « relève-toi, va… ». Il s’agit bien d’une « re-surrection », d’une re-naissance, d’une destinée qui l’appelle. Il est « sauvé ».

2/  Il me semble qu’une fois encore le récit biblique et évangélique rencontre  l’expérience humaine. La gratitude, le fait d’accueillir et reconnaître un bienfait, élargit l’espace intérieur et l’inscrit dans une relation où l’on se reçoit de l’autre, et c’est infiniment salutaire.  Deux exemples tirés de la littérature.

* Dans le roman de Delphine de VIGAN, Les Gratitudes, un récit tout de tendresse, Michka, une dame âgée perd la mémoire et les mots, mais elle se souvient paradoxalement et avec douleur qu’elle n’a jamais pu montrer sa reconnaissance envers le couple qui l’a accueillie, enfant, pendant la guerre.  Son orthophoniste, délicieux et dévoué,   se met en recherche et, par bonheur, en retrouve la trace ! Sa bienfaitrice, veuve, quasi centenaire, vit toujours ! Michka peut dire enfin sa gratitude et, délestée du poids de son silence, partir pacifiée.

* Gratitude aussi lorsque quelqu’un permet à un autre de dire le mal intérieur qui le mine. Ainsi en est-il d’Hectorine dans L’appartement du dessous de Florence HERRLEMANN, rongée par la culpabilité par rapport à un acte manqué quelques années auparavant. Elle avait laissé mourir une femme sans appeler secours à cause d’une blessure ancienne très profonde. Hectorine se confie à l’arrière-petite-fille de cette femme : « C’est à votre insu que vous avez tenu le rôle d’ange rédempteur qui m’a permis d’avouer ma faute, de me libérer d’un fardeau. Je me sens plus légère (…) Je vous remercie de tout mon cœur. »

Il n’est pas nécessaire d’attendre la fin de sa vie pour exprimer sa gratitude. Au contraire. Il me semble tellement important dans un monde où l’on fait croire que l’on peut tout tout seul, de reconnaître la part que l’on doit aux autres, accueillir le bien qu’ils nous ont fait et nous font et le leur dire.  En plus du bienfait apporté, cela participe, je crois, à créer un climat de bienveillance salutaire.

3/ Cultiver la gratitude, mais sans l’exiger d’autrui… C’est la troisième réflexion que m’inspire l’Evangile auquel je reviens. Quelle est l’attitude du Christ ? Il s’étonne de ne voir qu’un lépreux venir à lui, un étranger de surcroît, et rendre grâce. Un étonnement où suinte une déception ou un regret : les autres lépreux ont-ils été au bout de leur démarche de foi, dépassant la simple légalité de la couverture du grand-prêtre ? A quoi cette guérison les a-t-elle ouverts ?

Une once de tristesse, mais pas de jugement ni de condamnation.  C’est une invitation à nous détacher d’un besoin de reconnaissance lorsque nous avons posé un geste, disons de bonté. Nous pouvons éprouver de la tristesse, mais n’avons pas à faire de la gratitude un droit. L’Evangile nous attend  sur le terrain du don gratuit. Jésus faisait route pour Jérusalem, précise Luc. Il dépensait sa vie à faire le bien et l’on sait ce qui l’attendait ! En guise de gratitude, passez…

Mais son histoire ne s’est pas arrêtée là, nous le croyons et  saint Paul nous le rappelle ce matin : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts…Si nous mourons avec lui, avec lui nous vivrons ».

Rendons grâce pour ce chemin de résurrection.  Et vivons de gratitude envers Celui de qui nous recevons la Vie et la force pour avancer sur ce chemin.

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° Adolphe GESCHE, La Destinée, chapitre 1, Ed. du Cerf, 1995

Marie-Pierre Polis

Lectures : 2R, 5, 14-17 ; ps 97 (1, 2-3ab, 3cd-4) ; 2Tm 2,8-13 ; Lc 17, 11=19

 

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