14092025

« Nous prêchons un Messie crucifié, folie pour les païens et scandale pour les juifs ». « Le langage de la croix est folie pour ceux qui se perdent mais pour nous les croyants, il est puissance de Dieu ». Comment entendre ces propos musclés de saint Paul ? Comment peut-on dire qu’ils font partie de la Bonne Nouvelle ?

Ce langage qui sort des cadres a de quoi nous décontenancer. Comment nous laisser rejoindre alors que nous avons déjà tant de peine à comprendre le monde dans lequel nous vivons, tant de peine à comprendre les autres et même à comprendre notre propre vie ?

Le langage de la croix. D’où saint Paul tire-t-il ces mots ? Il part de l’itinéraire de Jésus. L’Évangile de Jésus, la Bonne Nouvelle de Dieu, ce qui s’est proposé comme la vie bonne a suscité l’opposition et la violence, pour finir, une mise en croix. Ce qui s’est révélé par-là, ce qui s’est montré c’est que la sagesse du monde, la raison, ses démonstrations et ses preuves n’ont pas reçu l’Évangile de Dieu. Celui-ci lui a paru une folie irrecevable. De son côté, la religion non plus avec tous ses efforts pour aller à Dieu et poser des balises qui montent vers lui et veulent le rejoindre ne s’est pas ouverte à l’Évangile. Un Messie qui est mis en croix ne peut qu’être lu comme une récusation de Dieu, c’est un scandale dont on se détourne.

Mais alors qu’est-ce qui nous sauve si nous ne pouvons compter ni sur la raison ni sur la religion ? C’est à quoi nous conduit saint Paul avec ce qu’il appelle la parole de la croix.

Il ne s’agit pas de sacraliser la souffrance : Jésus ne nous a pas sauvés par ses souffrances sur la croix, comme si Dieu avait programmé la croix pour en faire le salut du monde. Dieu ne nous envoie pas des souffrances pour nous instruire, nous rendre plus forts et meilleurs. Il n’attend pas que nous lui offrions nos souffrances. Alors ?

L’évangile de ce jour nous invite à redire que Dieu ne s’y prend pas avec nous par la mort et par les souffrances, il s’y prend par la naissance. Ce dont il s’agit en effet dans la foi, son enjeu, c’est de se laisser engendrer, d‘ouvrir notre vie à la bienveillance de Dieu, à sa bonté, laisser son amour défaire en nous ce qui ne nous porte pas à la vie, au profit d’une vie traversée par le salut. « Laisse Dieu être Dieu en toi », pourrait-on dire à la suite de Maître Eckhart.

C’est une question de regard et c’est pourquoi la liturgie nous fait relire aussi l’épisode du serpent de bronze. Toujours, il s’agit de changer son regard sur la vie et sur les autres. Sans cesse nous pouvons nous plaindre de nos manques et des limites des autres. Il y a toujours de quoi… Mais faut-il en rester là ? Changer son regard, ce n’est pas artificiellement avoir une pensée positive et dire intérieurement « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » mais laisser regagner son cœur par la confiance et ce qui s’appelle la grâce. C’est une œuvre de guérison et de délivrance venant d’une source de vie qui étonnamment vient de la croix du Christ et de sa résurrection. Seul celui ou celle qui est touché ainsi gratuitement peut lire des traces de cette guérison. Pour Paul, c’est le langage de la croix qui est l’Évangile de Dieu, sa bonne nouvelle. Et il prend à bras le corps la question : quid de ceux qui ne sont pas des sages, quid de ceux qui ne sont pas dans une religion ? Quel sera leur accès à la vie neuve ? Et ce qu’il remet sous nos yeux, c’est le Christ Messie qui s’est abaissé, désapproprié, qui a attendu la vie non pas de lui-même mais de Dieu son Père, il ne se ressuscite pas lui-même mais reçoit la vie nouvelle de son Père. Une désappropriation. C’est pourquoi il est devenu la voie vivante vers Dieu. Voie ouverte à tous, pour tous, puisque Dieu veut que tous soient sauvés.

La croix du Christ dans la confession chrétienne est un langage de l’inouï, non pas dans le sens du sensationnel mais dans le sens de ce qui introduit de l’inattendu, de la surprise que personne ne peut imaginer. C’est Dieu qui passe par la fente de la croix pour venir vers nous et faire passer sa puissance renouvelante. Elle ne cadre ni avec la sagesse des sages ni avec l’attente religieuse. C’est Dieu qui invente cette voie.

La croix, nous la confessons désormais comme croix glorieuse, lieu de résurrection, lieu de renouvellement. Car Dieu a donné son Fils non pas pour juger le monde mais pour le sauver.

Fr. Hubert

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