Lors d’une visite au Pérou, j’ai eu la chance d’assister à une célébration shamanique d’un yatiri qui invoquait les montagnes, les ancêtres et les saints pour appeler leur bénédiction. Je m’étonnais d’entendre que chaque montagne qui nous entourait avait un nom et représentait comme une référence clanique. Je me souvins alors du psaume : « Je lève les yeux vers les monts d’où viendra mon secours ; le secours me vient du Seigneur qui a fait terre et ciel. » Certains commentateurs voient dans les monts, les parents vers lesquels nous nous tournons pour savoir qui nous sommes et renforcer notre identité, mais l’expérience montre que notre salut se trouve au-delà des monts, au-delà des parents et grands-parents, à la Montagne du Seigneur, source de l’Etre.
En ce premier dimanche de l’Avent, nous rassemblons notre attention, nous tendons notre concentration vers une parole et un événement, ou plus exactement une parole en voie d’accomplissement, en voie de devenir un événement fondamental dans nos vies : la Parole nous est donnée par la liturgie et l’événement en ligne de mire est l’Incarnation du Verbe en Jésus, la fête de Noël.
Ouvrons donc la porte de ce temps béni de l’Avent, en commençant par l’Evangile : Ces lignes nous disent que la manifestation de la Vérité arrivera à coup sûr, que le sens profond de l’existence sera dévoilé et qu’il s’agit de le découvrir si nous voulons être conscients de qui nous sommes. « Le Fils de l’Homme viendra » : cette affirmation nous apprend que le sens plénier de notre vie sera clarifié dans une venue, une rencontre en vérité, aboutissement d’une intuition et d’une attente s’ouvrant sur l’éternité.
Or le grand enjeu de la vie éternelle se joue dans la banalité apparente du quotidien. Dans l’activité commune de deux femmes, dans le travail aux champs de deux hommes, Luc ajoutera dans l’intimité de la chambre d’un couple.
Si tu as réussi à aimer dans ces gestes tout simples du quotidien, alors la lumière du Fils de l’Homme est déjà en toi, tu en as l’intuition et tu n’es pas dans l’insouciance des contemporains de Noé, alors tu es laissé pour la bénédiction, tu peux posséder la terre, car tu as compris que la veille, c’est l’amour de celui qu’on pressent et qu’on attend dans l’attitude ajustée au prochain maintenant. Par contre, si tu es pris pour le jugement, le discernement, la mise en clarté, c’est avant tout pour prendre de la distance, regarder ta vie et constater que là, effectivement, tu n’as pas réussi à aimer, mais que tu peux comprendre pourquoi et t’y reprendre à nouveau, dans un recommencement.
Etre des « Noé » aujourd’hui, c’est refuser de rester au niveau des apparences, c’est refuser de nous dire : tout va mal, mais tout peut continuer comme si de rien n’était, du moment que je profite encore des satisfactions que je cherche. .
Etre des « Noé », c’est nous souvenir qu’il y a une promesse et Quelqu’un qui nous appelle. Veiller, c’est être dans les dispositions d’amour envers celui qu’on attend, comme s’il était déjà là. L’absence ne fait pas fléchir la tension vers l’autre, mais la creuse. « C’est à l’heure où vous n’y penserez pas, que le Fils de l’Homme viendra. » L’important n’est pas de penser, mais d’aimer, car la pensée va très vite nous emmener vers des suppositions, des doutes, des imaginations, des scenarios possibles. L’amour, lui, demeure constant et traverse l’absence comme une amplification de vie.
Le point à fixer est la naissance du Seigneur dans la chair de Jésus, chair qui est aussi la mienne, car je ne peux l’expérimenter qu’à travers mon être particulier. Il ne sert à rien que Jésus soit né, si le Christ ne naît pas en moi. C’est le sens de la seconde lecture : pour qu’advienne cette naissance en moi, l’amour doit discipliner ma conduite, faire de moi un disciple qui quitte les actions ténébreuses centrées sur l’intérêt enfermé sur le moi : les excès, les images qui rendent esclaves du plus bas niveau de l’être, l’oubli que Dieu est en chacun(e) ouvrant le cœur à la convoitise. Revêtir, au contraire, le Christ et sa lumière, c’est agir avec Dieu en toutes choses.
Cette référence première nous apprendra à ne pas nous arrêter aux particularismes. Ce n’est pas sur cette montagne qu’il faut adorer Dieu, ni sur celle-là, mont Garizim, mont Horeb, mont Sion, Rome ou Constantinople ou La Mecque.
Mais il faut l’adorer en esprit et en vérité parce qu’il nous en a donné la capacité en s’imprimant dans notre chair. Alors cette chair peut porter à son tour la Parole et faire briller la lumière universelle, unissant et réconciliant toutes les identités, les nations et les religions en une clarté unique, comme l’annonce le prophète Isaïe.
Voilà la lumière que nous espérons, que nous fixons, que nous attendons en ce début de l’Avent. Celle qui rendra toute guerre caduque et réconciliera tous les êtres en Dieu.
Revêtez votre habit de lumière et illuminez l’Avent.
frère Renaud
Lectures : Is 11, 1-10 ; Rm 15, 4-9 ; Mt 3, 1-12
