Chers amis, les lectures de ce jour s’apparentent toutes les trois au même schéma. Trois grands personnages de la Bible nous confient le choc de la rencontre avec le Très-Haut ou avec le Christ, soulignent leur indignité lorsqu’ils perçoivent ce à quoi le Seigneur les appelle, lui répondent généreusement.
Isaïe est séduit par la grandeur et la sainteté de Dieu, en qui il reconnaît, le Roi, le Seigneur de l’univers, et cela au cours d’une vision, qui a les caractéristiques d’une théophanie et au terme de laquelle il répond, après avoir été purifié :
« Me voici, envoie-moi ! ».
Paul, dans l’extrait lu ce matin, ne parle pas de sa rencontre fulgurante de Damas, mais il en évoque les fruits : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu », en d’autres mots : « Voyez ce que cette rencontre a fait de moi, l’Avorton. De persécuteur de l’Eglise de Dieu, j’en suis devenu un apôtre zélé.» Audacieux, voire culotté tout de même ce Paul, de s’inscrire sur la liste des apôtres auxquels est apparu le Christ ! Daniel Marguerat insiste sur la liberté incroyable que prend Paul quand il dépose son nom au bas de cette liste, invitant de facto qui le souhaite à écrire son propre nom, s’il souscrit à la Bonne Nouvelle énoncée dans le credo qu’il a lui-même reçu, le plus ancien sans doute.
Quant à Pierre, dans l’Evangile de ce jour auquel je m’attarderai un peu plus, il vit lui aussi un véritable retournement. C’est en tout cas la relecture que fait Luc bien après les événements, à la lumière de sa propre foi au Christ, de la naissance des premières communautés chrétiennes et de la place qu’y a prise Pierre.
L’évangéliste plante le décor : « La foule se presse autour de Jésus pour écouter La Parole de Dieu ». Il offre ainsi une clé de lecture. En effet, la portée du récit est d’autant plus significative qu’il semblerait que ce soit la seule fois dans les Evangiles que la prédication de Jésus est explicitement présentée comme « La Parole de Dieu ». Luc, d’ailleurs, n’utilise pas ce même terme (logos) lorsqu’il reprend les mots de Pierre : «Sur ta parole, je vais jeter les filets ». Le terme choisi ici (rhéma) insiste sur la communication, l’annonce, la transmission. En dissociant ces termes, Luc veut montrer combien Jésus, en parlant et en agissant comme il le fait, accomplit LA parole de Dieu, la réalise, lui donne chair et sens.
Et comment agit-il ici ? « Il monte dans une des barques qui appartenait à Simon ». Jésus est venu prendre notre condition humaine, il monte dans la barque de nos existences, de notre travail, de nos relations. Il donne corps au projet de Dieu de rejoindre nos existences dans ce qu’elles ont de concret. Il est « Dieu en visage d’homme », comme dit Yves Burdelot.
Et que fait Jésus dans la barque ? Il enseigne la foule. La barque, l’instrument de travail des pêcheurs, que sont Simon et ses amis, devient lieu d’annonce de La Parole de Dieu. C’est là, dans ce qui fait le quotidien des jours et le concret de l’existence que se vit, s’annonce et se joue son Evangile, sa Bonne Nouvelle.
Simon a dû percevoir dans l’attitude de Jésus quelque chose de fort. Lui, le pêcheur, qui connaît son métier, qui est revenu bredouille de la pêche nocturne, qui sait qu’on ne jette pas les filets le jour, il accepte l’injonction de Jésus, qui ne connaît sans doute pas grand-chose à l’art de la pêche, à quitter le rivage et à jeter à nouveau les filets. Il pressent une dynamique nouvelle, un enjeu inédit.
« Avance au large ». Avance en eaux profondes, ne reste pas près du bord, mouille-toi, avance dans les eaux profondes de ton être et de ton désir, avance dans les eaux profondes de l’appel que je te lance et que je vais t’expliciter, avance dans les eaux profondes du monde et de son bouillonnement bon et moins bon. « Avance … » et il continue en employant cette fois le pluriel : « jetez vos filets! » Tous sont appelés, mais, parmi eux, Simon semble appelé à une vocation particulière.
Sa réponse est inconditionnelle : « Sur ta parole, je vais jeter les filets ». On connaît la suite : la surabondance de cette pêche fait craquer les filets, mais surtout la vie antérieure de Simon, appelé désormais Simon-Pierre. Il est la pierre fondatrice de cette petite communauté en germe, qui deviendra l’Eglise.
L’effroi le saisit alors et, mesurant la distance qui le sépare du maître, il lui confère le titre honorifique de « Seigneur ». Celui-ci l’apaise aussitôt, comme chaque fois dans les Ecritures en pareille circonstance : « Sois sans crainte … ». Il explicite alors ce qu’il attend de lui : « Pierre, tu es un expert de la pêche, je vais t’initier à une autre expertise, « tu seras pêcheur d’hommes », plus précisément, d’après le verbe utilisé, « tu seras celui qui (p)rend les hommes vivants » , tu feras sortir des eaux de la mer, lieu de mort, celui qui y est englouti, pour l’amener à la Vie. Le poisson meurt hors de l’eau, toi tu rendras vivant celui qui sort des eaux de la mort, de toute mort, tu seras passeur de vie. »
Voilà la mission dévolue à Pierre et à travers lui à l’Eglise et à chacun d’entre nous : être passeurs de vie. Aujourd’hui encore, le Christ ne cesse de dire : « Avance au large, ne crains pas, sois pêcheur d’hommes/passeur de vie ! » A nous, à titre personnel ou en communauté, dans l’inspiration de l’Esprit, de voir ce que cela veut dire !
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° Daniel MARGUERAT, Résurrection, Une histoire de vie, Ed. du Moulin
° Yves BURDELOT, Devenir humain, Ed. du Cerf
Marie-Pierre Polis
Lectures: Is 6, 1-2a. 3-8 ; ps 137, 1-2a, 2bc-3, 4-5,7c8 ; 1Co 15, 1-11 ; Lc 5, 1-11