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Les dernières semaines de l’année liturgique sont rythmées par des textes difficiles, redoutables même, assez sombres, pourrait-on dire. Le livre de Daniel ainsi que les discours de Jésus sur le jugement dit « dernier », font peur, et nous montrent une image plutôt différente de ce gentil Jésus auquel nous sommes habitués. Ces textes appartiennent, nous disent les spécialistes, à une littérature qu’on nomme « apocalyptique », avec tout ce que cela peut représenter dans notre imaginaire en terme de fin du monde, catastrophes, comme ces films américains qui nous décrivent la situation de la planète « après l’apocalypse », ou encore ces pièces majeures de la sculpture romane et même gothique, qui représentent, sur les tympans de nombreuses églises, le jugement dernier, avec l’archange Michel et sa balance, pesant les âmes pour voir de quel côté elles iront.

Et nous voilà à nouveau confrontés à cette représentation effrayante d’un Dieu juge, mais d’un juge insensible à la misère humaine, qui punit ou récompense selon le bilan de nos bonnes ou mauvaises actions mesurées avec une froide précision, et sur le bureau duquel trône cet écriteau : « la loi est dure, mais c’est la loi », écrit en latin, bien sûr, (dura lex sed lex) puisqu’on nous a dit que c’était la langue sacrée…

Je dois vous dire que je réagis avec colère devant une telle image, qui est à l’opposé du Dieu dont je suis tombé amoureux un jour, et qui m’a conduit ici, au monastère. Lumineux, certes, mais obscur aussi souvent, plein de tendresse, mais également exigeant, toujours dans le sens d’une ouverture, d’un éveil, quitte à me faire passer par des moments difficiles, car toute croissance, toute guérison, est un processus lent et compliqué, enthousiasmant et douloureux en même temps. Un Dieu Père, qui aime tous ses enfants, sans distinction, même s’ils optent pour une voie qui se révèle sans issue, un Père de miséricorde qui se réjouit lorsque nous revenons à la maison, peu importe pourquoi, si c’est par amour ou par intérêt, comme le fils prodigue de la parabole. Un Dieu qui, comme le dit le psaume[1], révise ses décisions parce qu’il a bien compris que nous sommes bien peu de choses et qu’il ne faut pas mettre sur nos épaules un chargement trop lourd. Un Dieu qui nous fait sortir de nos Égyptes et qui nous aide à marcher au milieu de nos déserts[2]. Un Dieu de l’appel et non du dressage, selon une géniale expression du philosophe Bergson. Un Dieu de vie, enfin !

Alors, de quoi nous parle-t-on ? Ces textes n’ont pas pour objectif de nous raconter ce qui va arriver lors de la fin du monde, mais de nous questionner aujourd’hui. Questionnement radical, car il s’agit, ni plus ni moins, de l’avenir qui nous attend. Questionnement de temps de crise, dans une réalité incertaine : comment choisir la vie et non la mort ? Comment mettre sa confiance dans ce qui a une vraie valeur d’éternité, et non dans ce qui peut paraître si solide, mais n’est en fait qu’illusoire et destiné à disparaître ? Et qu’est-ce qui a une valeur d’éternité ? Où est la véritable force qui permet à notre univers, malgré tout, de garder espoir ? En d’autre termes, nous parle-t-on de la fin du monde ou bien de la fin d’un monde ? D’un genre de monde qui doit s’en aller et faire place nette, pour que puisse naître autre chose, pour qu’un nouveau soleil puisse nous éclairer.

Entrons un peu dans l’énigme de ces textes : « le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel ». Il nous faut retrouver le sens symbolique de ces métaphores. Nous avons tous entendu parler du roi soleil, par exemple. Quant aux étoiles – ou aux stars, selon le mot anglais -, nous voyons bien à quoi cela fait allusion. La Bible aussi parle comme ça : « les justes resplendiront comme le soleil »[3], nous dit le texte. Et l’image du « soleil de justice »[4], ce roi proche des pauvres, de ceux qui souffrent et des victimes[5], c’est une expression que les familiers du message biblique connaissent bien.

Quant aux élus, on pense souvent qu’il s’agit de privilégiés, de ceux à qui sont ouvertes les portes du paradis, tandis que les damnés descendront au séjour infernal… Mais j’aime revenir ici au mot hébreu qu’on pourrait utiliser pour dire qui sont ces gens-là : hommes et femmes « du choix ». Non pas ceux qui ont rempli leur agenda avec la liste de leurs bonnes actions, mais ceux qui ont fait confiance à l’appel de la vie, comme ils l’ont entendu, et qui y ont répondu, si peu que ce soit. Et j’ajoute, si je suis logique avec les paroles de l’évangile : non pas ceux qui font partie du bon groupe, de la bonne secte, et, j’ose le dire, de la bonne Église, mais… des quatre coins du monde. Ceux qui ont fait confiance à ce Dieu amoureux de l’humanité, à ce Dieu qui ne repousse jamais ses enfants, si indignes soient-ils, parce qu’ils restent ses enfants, qu’on le veuille ou non. Ceux qui ont mis ses pas dans ses traces. Même un seul pas, mais qui suis-je pour en juger la valeur ? Comme dit le proverbe, le plus long voyage commence par le premier pas.

Voilà où nous conduisent ces textes apocalyptiques. Ils nous mettent devant un choix crucial et urgent : qu’est-ce qui a un avenir ? Qu’est-ce qui a un poids d’éternité ? Ou mieux encore, qui a un poids d’éternité ? J’aime la manière hébraïque de dire les choses, car dans cette langue, en effet, on ne parle pas de la vie éternelle, qui s’annonce, par exemple, pour après cette vie-ci, mais de la vie en nous, maintenant, de ce qui est éternel, et qui transfigure littéralement et définitivement toute notre existence.

Dans les aventures de Tintin, apparaît tout à coup un curieux personnage, le prophète Philippulus, muni d’un gong, pour avertir tous les passants de l’imminence de la fin du monde[6]. Figure délirante, comique mais triste également, à laisser à son cauchemar. En revanche, il est temps pour nous de saisir cette Parole, que les textes que nous venons d’entendre répercutent à nouveau, cet appel à lire et à discerner les signes des temps, à contempler et à entrer dans l’intelligence de ce que notre Dieu, ce Dieu de vie, fait germer aujourd’hui, comme ce très vieux jardin où il nous avait déposés et qu’il nous invite encore à cultiver avec lui.

Fr. Étienne Demoulin

[1] psaume 77/78, 38-39
[2] Deutéronome 1, 30-31
[3] Matthieu 13, 43
[4] Malachie 3, 20
[5] Cfr psaume 71/72
[6] Cfr Hergé. L’étoile mystérieuse

Lectures de la messe :
Dn 12, 1-3
Ps 15 (16), 5.8, 9-10, 11
He 10, 11-14.18
Mc 13, 24-32

© 2016 - Monastère Saint-Remacle de Wavreumont

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