hm_23783_opencolor_custom-4185bf8f0319e5b02eec9fc3183449d53e43ba0d-s1200-c85

Méditation

Quand Nous parlons du Triduum pascal, pour ce qui est du samedi nous mettons généralement en évidence le silence du samedi saint. Et c’est d’ailleurs dans ce climat que nous allons essayer de vivre cette journée. Le jeudi saint et le vendredi saint sont chargés d’évènements que nous n’aurons jamais fini de méditer et de commenter. Nous pouvons suivre Jésus dans sa passion, nous représenter les évènements, imaginer ce qui est arrivé. Au contraire, le samedi saint, nous avons l’impression que rien ne se passe et qu’il n’y a pas grand-chose à dire. Le samedi saint est donc imprégné de silence. La liturgie elle-même semble s’interrompre : en ce jour, l’Église ne célèbre pas les sacrements. Il n’y a pas d’eucharistie. C’est un jour de sobriété. L’église est dépouillée sans aucune ornementation, l’autel est nu. Il n’y a rien à faire sinon attendre.

C’est le silence du samedi saint mais c’est un silence léger, habité d’une joie discrète et contenue, qui va croissante au fur et à mesure que la journée s’écoule et que les préparatifs de la vigile pascale s’intensifient. Il est vrai que le silence du premier samedi saint a dû être terriblement pesant et douloureux pour Marie et les autres femmes, pour les apôtres, pour Nicodème, pour Joseph d’Arimathie. Mais bien sûr ce n’est plus la même chose pour nous aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous comporter comme si nous ignorions la bonne nouvelle de Pâques. Alors, si la liturgie nous invite au silence c’est bien davantage pour que nous puissions intérioriser et approfondir le mystère de mort et de résurrection du Christ et donc entrer un peu plus aussi dans le propre mystère de notre existence à sa suite.

Dans la Bible, le silence se fait avant chaque grande révélation car c’est au cœur du silence qu’on entre en contact avec le mystère. « Le Seigneur réside dans son temple saint : silence devant lui, terre entière » (Hab. 2,20). « Silence ! toute chair devant le Seigneur, car il se réveille et sort de sa sainte Demeure » (Zac 2,17). Quand Dieu va se révéler, le silence est toujours ce qui précède. Pensons à Elie à l’Horeb : le murmure d’une brise légère. Et puis les deux versets du livre de la Sagesse que la liturgie propose dans les jours qui précèdent Noël : « Un silence paisible enveloppait toute chose, et la nuit était au milieu de son cours rapide ; alors du haut du ciel, venant de son trône royal, Seigneur, ta Parole toute puissante fondit en plein milieu de ce pays de détresse. (La liturgie applique ce passage à l’évènement de l’Incarnation : un silence enveloppait toute chose). Et le livre de l’Apocalypse nous parle du grand silence précédant l’ultime révélation. Toujours un temps de silence avant une grande révélation.

Et puis, le silence de la croix ! Dans le silence de la mort de Jésus la divinité de Jésus nous est cachée pour ne pas l’imposer, mais pour l’offrir comme un don à recevoir librement. Aussi, avant la Résurrection c’est aussi le silence. C’est le silence du sépulcre. On peut le considérer comme l’espace que Dieu nous offre pour une décision libre. Dans le silence du samedi saint, après la révélation d’un amour qui a tout donné jusqu’au dernier souffle, le Christ attend en silence notre réponse de croyant car il veut ressusciter en chacun de nous. L’Amour ne peut que s’offrir et espérer. Dans le silence du samedi saint, Dieu attend notre réponse de croyant, comme celle du centurion. « Le centurion romain qui était face à Jésus, en voyant comment il avait expiré, s’écria : « vraiment cet homme était fils de Dieu » (Mc. 15,39). Dieu attend que ce cri de la foi jaillisse aussi de notre cœur.

Jésus a prononcé sa dernière parole sur la croix. Il se fait alors un grand silence. Il nous a tout dit, il nous a tout donné, il attend notre réponse. Et nous, nous regardons le Christ en croix, tandis que nous attendons de célébrer la vigile pascale.  Et après la fête de Pâques, nous conserverons l’image du Christ sans vie parce que Jésus continue à être parmi nous l’exilé, l’exclu, le crucifié. Jésus l’a dit à St Paul sur le chemin de Damas : « Pourquoi me persécutes-tu ? » Le corps du Christ continue à être rejeté avec les pauvres et tous ceux qui vivent dans la désolation. Toujours il attend notre réponse. Aussi, nous devons voir dans le visage sans vie de Jésus un appel à la responsabilité. Le visage mort de Jésus nous appelle à la responsabilité parce que, comme dit Thérèse d’Avila, maintenant il n’a plus de pied, sauf les nôtres ni de mains, sauf les nôtres, ni de bouche sauf la nôtre. Le Seigneur nous attend, attend notre réponse. Aujourd’hui nous prolongeons notre méditation de la passion. Comme saint Jean au pied de la croix, comme le disciple bien aimé aux côtés de Marie, contemplant Jésus crucifié. De sa contemplation naîtra l’évangile de la lumière et de l’amour.

Dieu se tait et nous avons à garder le silence. Le silence du samedi saint, manifeste d’abord le respect de Dieu pour la liberté de l’homme, attendant notre réponse de disciple. Il attend notre profession de foi, comme celle de Marthe : « Oui je crois que tu es la Résurrection et la Vie ».

De même le silence de l’homme manifeste son respect pour la liberté de Dieu. A nous aussi il nous est demandé d’attendre en silence. Nous ne pouvons obliger Dieu à nous répondre. Celui qui voudrait l’écouter sans passer par l’ascèse du silence risque de tomber dans l’orgueil, l’illusion, l’auto justification. Notre foi, avant d’être proclamation est d’abord écoute, et bien souvent ce sera écouter le silence de Dieu, en ayant l’impression qu’il est absent.

L’authenticité de la foi suppose savoir garder le silence face à la liberté de Dieu et attendre, parfois très longtemps. Nous le savons bien, par notre expérience de la prière. Prier se résume bien souvent à écouter le silence de Dieu. Parce que Dieu est Dieu et que nous ne pouvons provoquer la rencontre avec Lui, il faut accepter d’être silencieusement et simplement en sa présence, sans rien faire. Que pouvons-nous faire, sinon persévérer avec l’espoir que le Seigneur nous communique un peu de sa lumière et nous enveloppe de son amour, que nous puissions découvrir comment il nous répond ! Tout est grâce et non la conséquence de nos efforts. Notre unique tâche dans l’oraison est d’essayer de nous établir dans le silence intérieur. Pour rencontrer Dieu, il faut arriver à faire le vide en soi-même, en faisant taire le bruit que nous faisons avec nous-même, taire nos revendications, nos ressentiments, tout ce qui empêche que nous le laissions parler. « J’écoute jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de bruit (en moi) » (Maurice Zundel).

Cependant il ne s’agit pas alors d’un silence vide. Il s’agit poursuit Zundel, d’un « silence qui respire, il s’agit d’un silence qui est Quelqu’un. Il s’agit d’un silence qui est une Présence, d’un silence qui est vraiment la respiration du cœur et de l’esprit. La vie monastique, en particulier, doit faire de ce silence sa propre respiration. Un monastère authentique, fervent, est un monastère qui est un sacrement du silence. Il faudrait que dès qu’on y entre, on ait le sentiment de respirer le silence, un silence de vie, un silence où éclate ce secret d’amour qui est Dieu au plus intime de nous. » (Zundel, son expérience à Einsidel). C’est ce silence habité qui est une Présence que nous essayons de vivre en ces jours.

Mais revenons au samedi saint car il n’est pas exact de dire qu’il ne s’est rien passé ce jour-là. Notre foi proclame en effet que Jésus « fut crucifié, est mort et a été enseveli et qu’il est descendu aux enfers et que le troisième jour Il est ressuscité d’entre les morts ». La descente aux enfers est un peu oubliée mais elle est un article très important de notre credo. Les enfers sont le lieu des morts. Avant que naisse la croyance en la résurrection des morts, les anciens pensaient que les morts, tous les morts, les méchants comme les bons, allaient, après la mort, en un lieu sous la terre où ils continuaient à mener une vie très limitée, non une vie nouvelle, mais une espèce de survie. Et voilà que Jésus descend dans la profondeur de la terre pour ouvrir les portes de ce lieu des morts. Et c’est ce que représente l’icône de la descente du Christ aux enfers qui est l’icône du samedi saint. Au centre de l’icône, le Christ éclatant de lumière, Maître de la vie. D’un puissant mouvement, il arrache aux enfers Adam et Eve. « Celui qui a dit à Adam « Où es-tu ? » est monté sur la croix pour chercher celui qui était perdu. Il est descendu aux enfers en disant : Viens donc mon image et ma ressemblance » (Hymne de Saint Éphrem).

Quand nous proclamons que Jésus est descendu aux enfers, nous disons qu’il offre son salut à tous ceux qui sont morts sans avoir eu la possibilité de le connaître parce qu’ils ont vécu avant sa venue (Adam et Ève). Mais nous devons l’étendre à tous ceux et celles qui n’ont pu le connaitre pour d’autres motifs, en particulier parce qu’ils n’ont jamais entendu parler de lui. Ainsi, la descente aux enfers ouvre la porte de la vie éternelle à une multitude. Ainsi la descente aux enfers nous rappelle une vérité fondamentale : Jésus est venu pour sauver toute l’humanité, tous les hommes et toutes les femmes. C’est ce qu’il a proclamé maintes fois : Dieu fait lever le soleil sur les bons comme sur les mauvais. Il veut le bien de tous, sans condition. Son amour est offert à tous, sur les justes comme sur les injustes. Rien, dit saint Paul, ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, manifesté en J-C, pas même notre péché. (Rm 8,39).

Mais Jésus ne nous hisse pas, ne nous tire pas de force, il respecte notre liberté. La seule chose qu’il nous demande c’est de nous abandonner en toute confiance entre ses mains. Mais nous abandonner, c’est peut-être ce qui nous est le plus difficile. A la fin d’un de ses livres, le cardinal Martini nous livre son témoignage à ce sujet :

« Durant de nombreuses années, je me suis plains au Seigneur, à peu près en ces termes : Tu as créé le monde, tu nous as offert des dons merveilleux, tu es mort pour nous, mais tu n’as pas aboli la mort. Qu’est-ce qu’il t’en aurait coûté de l’éliminer ? Il t’aurait suffi de dire : je meure pour tous, à la place de tous, et tous nous serions entrés dans l’au-delà par une passerelle dorée. Avec le temps, j’ai changé d’avis, écrivait-il. Je suis arrivé à la conviction que la mort effectivement est nécessaire, précisément parce qu’elle nous permet de réaliser cet abandon de la foi qui est alors absolu et total, qui est alors un saut dans le vide sans filet, sans aucune issue de secours. S’il n’y avait pas la mort, jamais nous ne nous verrions obligés de réaliser une remise complète de nous-mêmes à Dieu ; dans la mort au contraire, il s’agit de s’abandonner sans réserve pour que le Seigneur puisse nous donner la vie qui ne finit pas. »

Pour qu’il puisse nous modeler à nouveau, Dieu a besoin que nous nous abandonnions totalement entre ses mains. C’est ce que Jésus a accompli et nous a enseigné, et que nous méditons cette semaine.

C’est aussi notre expérience, du moins j’ai souvent entendu de tels témoignages. J’étais perdu, je me sentais totalement impuissant(e) face à telle situation, devant le comportement de tel de mes  enfants ou confronté à tel problème, telle maladie…. C’était l’impasse, le désespoir. Alors j’ai crié vers le Seigneur : Seigneur je n’en peux plus, je m’abandonne à toi. Toi seul tu peux, toi seul peux faire quelque chose. Alors, beaucoup peuvent témoigner que quelque chose alors s’est passé, s’est débloqué, s’est dénoué, quelque chose d’inattendu, de providentiel, une parole, une lumière, une grande paix, l’expérience de la proximité du Seigneur…

Le samedi saint est le jour où on apprend à attendre, à vivre de la présence du Seigneur et attendre ces moments de résurrection. Nous pouvons vivre dans l’obscurité et l’angoisse, mais Jésus ressuscité nous demande de traverser ce jour du samedi saint mais aussi tous nos samedis saints où nous sommes confrontés d’une manière ou d’une autre à la solitude, l’angoisse, la réalité de la mort, dans une attitude profonde d’espérance patiente pour que l’œuvre de Dieu puisse se réaliser, conservant et méditant la promesse de Jésus : « votre tristesse se changera en joie ».

Fr. Bernard de Briey

© 2016 - Monastère Saint-Remacle de Wavreumont

Nous suivre :