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Homélie :

Jésus se nomme aujourd’hui le bon berger. C’est un des titres qu’il s’attribue.

Bien sûr, les images pieuses de Jésus en bon pasteur se sont usées. Comment ne pas se rappeler les souvenirs de communion solennelle où le bon berger était représenté sous les traits d’un adolescent à la chevelure bouclée, douceâtre, portant sur ses épaules un tendre agnelet ?

Dans ce que nous avons entendu aujourd’hui, il y a un peu plus. Bien autre chose.

Il nous est dit qu’il y a là une voix à écouter. Dans tous les bruits et les rumeurs, les fureurs parfois qui viennent du monde, une voix est à écouter. L’accès à l’Évangile c’est l’écoute. Non pas d’abord un texte, un écrit mais une voix qui s’adresse à nous.

Que dit-elle ? Elle dit qu’elle donne la vie, qu’elle donne vie, qu’elle donne vraiment cela. Bien plus, ce que Jésus dit est ceci : il donne sa vie. Il donne sa vie pour les siens, pour chacun. Non seulement il la risque, mais il la perd. Peut-on donner sa vie sans la perdre ? Et nous nous rendons compte tout à coup que notre vie dépend de quelqu’un qui donne sa vie pour que nous vivions.

Ici, c’est donc une voix qui dit autre chose que les pièges mercenaires dans lesquels les humains sont souvent empêtrés : pièges de l’argent, du pouvoir, du prestige, de la compétition. Un indice sûr de cela : les autres ne comptent pas vraiment, la vie des autres est de peu de poids. Dès lors, il est possible d’abandonner, de laisser là, de s’enfuir.

Le livre de l’Apocalypse dit du Christ qu’il est à la fois berger et agneau. N’est-ce pas paradoxal ? Comment peut-il être l’un et l’autre ?

Eh bien, ce que nous avons entendu ce matin nous répond : c’est parce que Jésus est l’agneau livré, donnant sa propre vie, s’en dessaisissant, qu’il est le vrai berger.

Cette voix qui parle ainsi dans le monde vient d’ailleurs. Voilà pourquoi elle dit l’incroyable : nous sommes enfants de Dieu. Aux yeux du monde, c’est là un pur fantasme, une espèce de souhait délirant, du rêve. Des enfants bien sages au pied de Dieu… ?

Et c’est vrai que cela échappe à un certain savoir qui voudrait des démonstrations, des preuves qui imposent la conviction. On voudrait que cela rentre dans les cadres de la compréhension. Mais cela échappe. Il faut entrer par une autre porte que le raisonnement. Cela déconcerte.

Alors c’est irrationnel ? Mais l’irrationnel se définit encore à partir de notre raison occidentale. C’est encore ce que nous pouvons mettre dans nos cadres.

Ici, il s’agit d’écouter une autre voix, l’autre voix, il s’agit de se laisser conduire dans une expérience qui nous déplace. Disons quelques mots de ce déplacement.

Dieu n’est plus celui qui d’abord impose des devoirs, des contraintes, des « il faut ». Ce qui est au commencement c’est que nous sommes les enfants du Père. Le Dieu de Jésus est celui qui aime. Tout autre Dieu, hors de l’amour, ne peut qu’être un Dieu mercenaire, un mercenaire.

En donnant sa vie pour nous, Jésus révèle ce Dieu-là : « Le Père m’aime parce que je donne ma vie », dit-il.

Et ce Dieu qui se montre et se nomme ainsi en Jésus-Christ vient là où quelqu’un est dans la difficulté de vivre, là où un humain est quelque part infirme, blessé dans sa vie. C’est la première lecture qui l’évoquait.

Avec une audace inouïe il est dit : son nom, celui du Christ Jésus, est le seul qui puisse nous sauver.

Prétention exorbitante, délire encore une fois ? Oui s’il s’agit là d’un système religieux à imposer à tout le monde. Mais s’il s’agit du nom de celui qui est venu chercher ce qui est perdu en donnant la vie de Dieu jusqu’au bout, jusqu’au fond, alors c’est le Dieu abaissé, le Dieu très-bas.

C’est bien ce nom dont nous voulons faire mémoire en cette eucharistie. Ce nom au-dessus de tout nom.

Fr. Hubert Thomas

Lectures de la messe :

Ac 4, 8-12
Ps 117 (118), 1.8-9, 21-23, 26.28-29
1 Jn 3, 1-2
Jn 10, 11-18

Berger

Prière :

Seigneur,

L’Évangile de ce jour nous invite à Te reconnaître comme notre Berger, à nous reconnaître comme tes brebis.

Mais qu’attend-on d’ordinaire d’un berger ? Le propriétaire du troupeau lui confie ses brebis pour qu’il les mène vers des pâtures où elles pourront se nourrir et qu’il veille à l’intégrité du troupeau en le protégeant contre tous les prédateurs, loups et voleurs.

Mais Toi, Seigneur, Tu n’es pas un berger comme les autres. La nourriture que Tu donnes à tes brebis, c’est ton propre corps et ton propre sang : Tu te fais toi-même nourriture pour qu’elles reçoivent ta vie et ta force en plénitude.

Ce n’est pas l’appât d’un salaire qui Te motive, mais un Amour désintéressé : Tu prends soin des brebis comme les tiennes, elles comptent tellement à tes yeux que Tu vas jusqu’à donner ta vie pour les arracher aux griffes des loups ou des bandits.

Oui, Seigneur, Tu es vraiment le Berger en qui nous pouvons avoir toute confiance. Avec Toi, je peux franchir des défilés étroits et des a pics vertigineux. Il me suffit de mettre mes pas dans les tiens, de tenir ta main dans l’obscurité, et même si je venais à m’égarer dans la brume, je sais que Tu viendras me rechercher.

Les chemins que Tu me fais parcourir, Tu les as reconnus en premier, Tu en connais les pièges et les difficultés. A certains moments, Tu es devant nous comme un éclaireur, à d’autres Tu fermes la marche, prenant soin des traînards et des blessés.

Comme dit le psaume 138 :

« Que je marche ou me repose, tu le vois, tous mes chemins te sont familiers.
Tu me devances et me poursuis, tu m’enserres, tu as mis la main sur moi.
Savoir prodigieux qui me dépasse, hauteur que je ne puis atteindre !

Où donc aller, loin de ton souffle ? où m’enfuir, loin de ta face ?
Je gravis les cieux : tu es là ; je descends chez les morts : te voici.
Je prends les ailes de l’aurore et me pose au-delà des mers :
même là, ta main me conduit, ta main droite me saisit.

J’avais dit : « Les ténèbres m’écrasent ! »
mais la nuit devient lumière autour de moi.
Même la ténèbre pour toi n’est pas ténèbre,
et la nuit comme le jour est lumière ! «

Pistes de réflexion pour la semaine :

Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes.

« Enfants de Dieu – et nous le sommes ! » Vous rendez-vous compte ? Ces quelques mots, nous devrions nous les répéter chaque matin, chaque soir, à chaque instant. Ces quelques mots, c’est l’énoncé de notre destinée, la source de notre joie plénière, notre béatitude dès aujourd’hui : heureux ceux que le Père a voulu appeler – dès à présent – ses enfants !

Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.

Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté si ce n’est en Christ ressuscité, le Premier-Né de la nouvelle création. Ce n’est pas encore, ni pour les autres, ni pour nous-mêmes, une évidence tranquille et lumineuse. Cela reste un combat à mener jour après jour, un vide à creuser en nous pour devenir capacité, désir, ouverture, un don à demander et à accueillir avec la confiance de l’enfant, une promesse à arroser chaque jour comme une semence prête à germer, un champ à entretenir sans cesse pour que les chardons et les ivraies n’empêchent pas la croissance du blé.

Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu.

Cette béatitude, elle est en même temps notre souffrance au quotidien : souffrance de ne pouvoir vivre en parfait ajustement avec notre vocation divine, souffrance de ne pouvoir communiquer cette joie à tous ceux qui nous entourent. Tristesse de voir tant de champs à l’abandon, tant de brebis égarées et affamées par le fait de mauvais bergers. « L’Amour n’est pas aimé », s’écriait tristement François d’Assise.

Oui, mais l’amour authentique est contagieux. Osons sortir de notre bulle, de notre confinement et propageons par des gestes concrets la pandémie de l’Évangile !

Pierre Boland

© 2016 - Monastère Saint-Remacle de Wavreumont

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