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Cet évangile met bout à bout deux extraits distincts du texte de Luc : les quatre versets d’introduction de tout le livre et le récit des débuts de Jésus après son baptême, trois chapitres plus loin. Le rapprochement des deux passages peut être riche de signification en ce dimanche de la Parole, puisqu’ils nous disent tous les deux quelque chose de son importance. Ils soulignent en particulier le lien nécessaire entre la parole et l’écriture.

Il y a premièrement la parole. Dès le début de la création, Dieu dit. Pour que cette parole soit entendue, retenue, elle a besoin de serviteurs. Luc parle de ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. Pour évoquer ces serviteurs, il utilise un mot qui désigne d’abord les matelots, les membres d’un équipage qui agissent sous les ordres d’un patron, les rameurs. On pourrait traduire, dans la langue familière : ceux qui ont ramé pour la Parole, c’est-à-dire ceux qui se sont donné de la peine pour que la Parole soit transmise. Et c’est dans leur sillage que Luc décide, en avouant qu’il n’est pas le premier à le faire, de mettre leur témoignage par écrit, afin que rien ne s’en perde. Car les mots s’envolent, mais les écrits restent. C’est une des raisons pour lesquelles nous vous proposerons à la fin de l’eucharistie de vous procurer des stylos à bille. L’autre raison, c’est qu’ils sont vendus pour soutenir l’Action Damien, en ce jour qui est aussi la journée des lépreux. Je ferme la parenthèse et je reviens à mon sujet.

Il ne suffit pas que les écrits demeurent. Ils n’ont d’intérêt que si le livre est ouvert, si on en fait la lecture, comme Jésus à la synagogue de son village, comme Esdras cinq siècles plus tôt. C’est alors que la Parole écrite redevient parole, qu’elle peut être entendue et arracher des larmes. La seconde partie de notre évangile n’emploie pas le mot « parole ». Il n’y est question que de livre et d’Écriture, mais il s’agit bien d’un livre dont on fait la lecture, d’une écriture que l’on peut entendre et qui alors est en mesure de s’accomplir aujourd’hui.

Ce dimanche la Parole est l’occasion de vous donner un mot d’explication sur une liberté que nous avons prise. Quand une équipe a mis au point une nouvelle traduction liturgique de la Bible, on a édité de nouveaux lectionnaires et on a cru opportun d’imprimer au bas de chaque lecture : « Parole du Seigneur. » Les traducteurs en ont été les premiers surpris. En l’apprenant, une moniale s’est exclamée : « Eh bien moi, je dirai : Parole de saint Paul ! » Il faut bien avouer que, devant certaines affirmations bibliques, nous avons peine à croire que le Dieu en qui nous croyons puisse dire des choses pareilles. Au monastère, nous avons pris l’habitude de ne pas lire ces mots surajoutés au texte biblique. Pourquoi ? Parce que nous pensons que la Bible n’a été ni écrite ni dictée par Dieu. La tradition musulmane dit que Dieu lui-même a rédigé le Coran, sur la Table bien gardée, à l’abri de toute influence extérieure. Mais les Juifs et les chrétiens ne croient pas cela de leurs Livres sacrés. La Bible est une œuvre humaine, qui porte la marque des cultures déterminées et des connaissances partielles de ceux qui l’ont composée.

Cela ne nous empêche pas de croire et de professer qu’elle contient la parole de Dieu, qu’elle est inspirée par Dieu, que Dieu nous parle à travers elle. À ce titre, elle a pour nous une importance capitale, nous la fréquentons chaque jour. Elle pourrait dire d’elle-même ce que disait le prophète Isaïe et que Jésus vient de prendre à son compte : « L’Esprit du Seigneur est sur moi. » Elle est là pour nous laisser entendre ce que Dieu veut nous dire, à quelle joie il veut nous conduire. Il la confie à son Esprit, c’est-à-dire à son Souffle, mais aussi à chacun et chacune de nous. L’Esprit gonfle les voiles de la bonne nouvelle destinée aux pauvres. Mais cela ne suffit pas pour qu’elle arrive à bon port. On demande des rameurs.

Frère François

Lectures: Ne 8, 2-4a.5-6.8-10 ; 1 Co 12, 12-30 ;  Lc 1, 1-4; 4, 14-21

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