noel 2024 1

La fête de la sainte famille a pour moi une saveur particulière : c’est la célébration de l’intimité, c’est la mise en valeur de tout ce que peut représenter et symboliser la maison. C’est aussi la partie de la vie de Jésus qui est la moins documentée. Que savons-nous des longues années passées à Nazareth ? On dit qu’il travaillait dans l’atelier de son père, mais en sommes-nous si sûrs ? A quelques exceptions près, la vie de Jésus reste dans l’ombre et dans le silence. De ce qu’il a vécu avant de se manifester et d’entamer sa vie publique, presque rien ne nous est connu. Comme si ces longues années de maturation devaient à tout jamais nous échapper et frustrer notre curiosité. C’est un secret, et peut-être est-il bon que cela nous demeure dissimulé. Une antienne caractéristique chantée lors de l’office des heures en ce jour, évoque le Dieu caché, et c’est vrai que la maison familiale, si elle s’ouvre au monde extérieur, n’en reste pas moins l’espace privé, le lieu de l’intériorité à laquelle l’étranger n’a pas accès, à l’exception de l’hôte qu’on accueille le temps d’un repas pris ensemble et d’un moment d’amitié partagée.

La maison est un des grands symboles bibliques. Il est trop riche pour que les quelques lignes de cette homélie en fassent le tour, c’est pourquoi je désire ne m’attacher qu’à un seul de ses aspects, qui s’appuie sur une curieuse réflexion proposée par la tradition juive. Je m’inspire pour cela du livre « Prier » de Raphaël Cohen1. Le talmud établit donc un lien entre la maison et la prière, et c’est cela qui aujourd’hui a retenu mon attention. Regardons d’un peu plus près : On nous dit d’abord que les trois prières quotidiennes ont été instituées par les patriarches. Abraham nous a donné la prière du matin, celle de l’optimisme et de la joie, au commencement d’une journée riche de promesses. A Isaac revient la prière du milieu du jour, invitation à sortir de ses activités pour recréer le lien entre terre et ciel et ouvrir à nouveau le monde à sa fécondité. Jacob inaugure la prière du soir, au moment où tout se brouille et où l’espoir devient confiance éperdue et malgré tout inquiète.

Mais ce n’est pas fini : pour les sages, les patriarches ont désigné chacun Dieu par un terme précis : Abraham l’a appelé « Montagne » ; Isaac l’a appelé « Champ » ; Jacob l’a appelé « Maison ». Nous y voilà ! Pour Abraham, Dieu est au-delà de tous les horizons humains. Ouverture et appel infinis. Pour Isaac, Dieu est le champ des confrontations entre les hommes. Ici, le sens de l’histoire humaine est de contenir la violence en la transformant en espoir de la vie ensemble. Rigueur et justice. Enfin pour Jacob, Dieu est « demeure », le lieu de la quiétude intérieure, de la construction normale de la paix. Dieu, ici, devient « Foyer » pour toute l’humanité. Miséricorde : le secret de la naissance d’un monde nouveau.

De la montagne au champ, du champ à la maison, une tension traverse toute prière authentique, l’insère dans le concret de l’existence, sans jamais empêcher la vie de s’exprimer. Comme le précise Raphaël Cohen, la prière n’est pas la concurrence de la vie, mais son complément harmonieux. Elle est une chance pour l’homme et non une entrave à son développement.

La prière est dévoilement du cœur. Dans la Bible, elle est appel à se lever : « Mets-toi debout devant moi ! » interpelle le Dieu de l’Alliance. La prière est invitation à se laisser lire, à se laisser juger, c’est à dire, à se laisser remettre dans l’ordre et dans la logique de la vie, et à retrouver le chemin du possible. Elle est descente au plus profond, elle est l’audace d’un cœur qui ose se livrer et accepte d’être rejoint là où Dieu vient faire toute chose nouvelle. C’est le geste par lequel le priant se met à nu, où il s’accueille comme il est et où il s’abandonne à l’amour infini, et plein de confiance, s’offre à son Dieu et trouve en lui son refuge.

La prière fait ce que disait un vieux rabbin, à qui l’on demandait : « pour vous, en quoi consiste la vie ? » Il répondit : « Tout simplement, réveiller les étincelles ! » C’est ici que se situe, à mon avis, l’intercession : porter en soi, avec soi, au cœur de cette plongée, ceux pour qui on prie, et les emmener dans la nouveauté qui se fait jour, les rendre à l’aventure d’une histoire encore à écrire et où ils ont pleinement leur place, d’un inédit qui leur redonne leur humanité. En ce sens, l’intercession est responsabilité : elle replace la personne pour qui on prie, dans la dynamique de ce monde neuf qui germe en nous et avec nous où, comme le dit l’Ecriture, Dieu est tout en tous.

Une parole de Jésus me donne à penser. Ne nous dit-il pas : « lorsque tu veux prier, retire-toi dans le secret de ta chambre… » ? En d’autres termes, va au cœur de ta maison, dans cette intimité cachée qui te propose l’aubaine d’une rencontre authentique, à l’image de la fiancée du Cantique des cantiques introduisant son bien-aimé là où toute vie se relie à son lieu de naissance.

Cela me rappelle une petite histoire juive. Nous sommes dans la maison du rabbin. Samuel, son fils, y a invité un ami et ils décident de jouer à cache-cache. C’est au tour du fils du rabbin de se cacher, et il connaît une bonne cachette dans laquelle, tout content, il va se réfugier, tandis que son compère commence à compter : « un, deux trois… » puis part à la recherche de Samuel. Mais la cachette choisie est vraiment, vraiment bonne : pas moyen de la trouver. Découragé, l’ami de Samuel s’en va et retourne chez lui. Finalement, Samuel sort et s’aperçoit qu’il est tout seul. Il se met à pleurer, court chez son père et lui explique tout. A son tour, le rabbin fond en larmes : « C’est comme l’Eternel notre Dieu, s’exclame-t-il. Il a trouvé une excellente cachette, et nous cessons de le chercher. »

Le Dieu caché de l’antienne de ce jour, n’est-ce pas une invitation à entrer dans le jeu ? Jouer à cache-cache avec notre Dieu, ce n’est pas très sérieux, me direz-vous. Mais, à Noël, Dieu ne s’est-il pas fait enfant ? Alors ?

1 Raphaël Cohen, Renée de Tryon-Montalembert, Philippe Amanoullah de Vos. Prier. Collection Le Chêne de Mambré, trois voix monothéistes. Editions du Centurion, 1992 Paris. ISBN2.227.36801-2. Pages 19 à 23.

Frère Etienne

Lectures : 1 S 1, 20-22.24-28 ; 1 Jn 3, 1-2.21-24 ; Lc 2, 41-52

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